Rêve et réalité
Les champs, les lacs et les vallées
Isolées
Furent longtemps les seuls amours
De mes jours.
Il semblait que des voix mystiques,
Sympathiques,
Tout bas répondaient à ma voix
Dans les bois.
J’allais sous une grotte sombre
Chercher l’ombre,
Laissant flotter âme et regard
Au hasard,
Comme errent ces fils blancs qu’à l’aube
Sur le globe
La vierge épand de son fuseau
Par réseau.
Les gazons, vertes draperies
Des prairies
Qu’émaillent de riches couleurs
Mille fleurs,
Formant à l’agreste nature
Sa parure,
Étaient à mes yeux le tableau
Le plus beau.
Et quand ces vivantes musettes,
Les fauvettes,
Gazouillaient au sein des buissons
Leurs chansons,
Voyant sur la branche élevée
Leur couvée,
J’écoutais en de doux transports
Leurs accords.
Si parfois la palombe blanche
Sur la branche
Appelait amoureusement
Son amant,
Je sentais surgir en mon âme
Une flamme
Et je demandais une sœur
Pour mon cœur.
Alors les parfums, l’ambroisie
De l’Asie
Embaumaient de mes rêves d’or
Le trésor,
Et les tuniques diaphanes
Des sultanes
Voltigeaient devant mes esprits
Trop épris.
Contemplant sous le ciel sans voiles
Les étoiles,
Et dans cet azur étendu,
L’œil perdu,
De voluptueuses images,
Doux mirages,
Me faisaient palpiter d’émoi
Malgré moi.
D’autres fois mon cœur qui s’embrase
Par l’extase,
Imaginait des entretiens
Plus chrétiens
Avec les pudiques phalanges
Des archanges,
N’offensant d’aucun vœu charnel
L’Éternel.
Si j’avais ces amours étranges
Pour les anges,
Et les houris que Mahomet
Nous promet,
C’est que pour rafraîchir mes lèvres
Dans mes fièvres,
Je ne connaissais sous le ciel
Aucun miel.
Mais comme une fraîche rosée,
Déposée
Par l’aurore versant des pleurs
Sur les fleurs,
L’amour dans les plis de mon âme
Tout en flamme
A versé ses épanchements
Si charmants.