La Mer Sauvage
J’ai pris la foëne et le harpon
au-delà des forêts,
des lacs sans nom, des mille rivières,
dans une mince pirogue
de tremble qui me berçait.
Je me suis réveillé sur la plage
immense et vide de la
Mer sauvage,
où dans les sables bat encore
le cœur rebelle
de mon requin,
sous le soleil furieux
qui sonnait à grands coups
dans ma tête,
tandis que je tirais sur le filin,
et mon fer plongeait avec le fauve
dans l’eau verte bouillonnant
comme des entrailles.
En ce jour couleur d’apothéose je titubais
sur le gaillard d’avant dans les giclées
d’écume et les semonces de la
Bête innommable hérissée d’anciennes
ferrailles, de grappins, de crocs inimaginables
et de trente harpons rouilles que je ne cesse
en rêve de lancer sur le squale de mon
enfance dans une rage inguérissable.