Adieux au monde
J’aurai bientôt quatrevingts ans :
Je crois qu’à cet âge il est temps
De dédaigner la vie.
Aussi je la perds sans regret,
Et je fais gaîment mon paquet ;
Bonsoir la compagnie !
J’ai goûté de tous les plaisirs ;
J’ai perdu jusques aux désirs ;
A présent je m’ennuie.
Lorsque l’on n’est plus bon à rien,
On se retire, et l’on fait bien ;
Bonsoir la compagnie !
Lorsque d’ici je partirai,
Je ne sais pas trop où j’irai ;
Mais en Dieu je me fie :
Il ne peut me mener que bien ;
Aussi je n’appréhende rien :
Bonsoir la compagnie !
Dieu nous fit sans nous consulter
Rien ne saurait lui résister ;
Ma carrière est remplie.
À force de devenir vieux,
Peuton se flatter d’être mieux ?
Bonsoir la compagnie !
Nul mortel n’est ressuscité,
Pour nous dire la vérité
Des biens d’une autre vie.
Une profonde obscurité
Est le sort de l’humanité ;
Bonsoir la compagnie !
Rien ne périt entièrement,
Et la mort n’est qu’un changement,
Dit la philosophie.
Que ce système est consolant !
Je chante, en adoptant ce plan ;
Bonsoir la compagnie !
Lorsque l’on prétend tout savoir,
Depuis le matin jusqu’au soir,
On lit, on étudie ;
On n’en devient pas plus savant ;
On n’en meurt pas moins ignorant ;
Bonsoir la compagnie !