Dans l’étang d’un grand coeur…

Georges Rodenbach
par Georges Rodenbach
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Dans l’étang d’un grand coeur quand la douleur s’épanche
Comme du soir, et met un tain d’ombre et de nuit
Sous la surface en fleur de cette eau longtemps blanche
Qui, durant le soleil et le bonheur enfui,

N’avait rien reflété que le songe des rives,
Alors l’étang du coeur se colore soudain
D’ un mirage agrandi dans le noir des eaux vives
Arbres longs et mouillés d’un nocturne jardin,

Maisons se décalquant, étoiles délayées.
Tout se précise et se nuance maintenant
Dans ces routes de l’eau que le soir a frayées.
Et la douleur qui fait de l’âme un lac stagnant

La remplit de lueurs et de nobles pensées
Qui sont comme, dans l’eau, les branches balancées ;
Et la remplit aussi de grands rêves qui sont
Comme, dans l’eau, les tours se mirant jusqu’au fond.

Or parmi cette eau morte et pourtant animée
Surnage ton visage, ô toi, l’unique aimée !
Et ton visage blanc dans la lune sourit,
La lune de profil, la lune émaciée

Ô la visionnaire, et la suppliciée !
Qui douloureusement dans l’eau froide périt ;
Car la douleur accrue éteint tous les mirages

Et des cygnes, nageant vers la face au halo,
Les cygnes noirs du désespoir, durs et sauvages,
Inexorablement la déchirent dans l’eau !

Le règne du silence

Georges Rodenbach

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