La cour
Je connais, Madame, un bonhomme
Qui serait bien mal à la Cour.
Je ne sais comment il se nomme,
Sa femme n’est pas laide, en somme,
Non…, elle est très digne d’amour.
Elle a de l’œil et de la taille,
Un petit soulier de satin.
C’est une blonde, toute en paille.
Mais, voyez, Madame, elle baille
Dès les onze heures du matin.
L’hiver, sa servante auprès d’elle,
Elle garde le coin du feu,
Demandant s’il vente ou s’il gèle ;
Quelquefois un bout de querelle
Avec son chéri, c’est fort peu.
Au mois de juin, pour la distraire,
Celui-ci la mène à la mer,
Mais son fauteuil est solitaire ;
Surtout, pas de célibataire ;
Car ces messieurs vous ont un air…
Les Français, coureurs d’aventures,
Les Gaulois aux propos soignés,
Les amis de toutes natures,
Et les cousins, même en peintures,
Sont soigneusement éloignés.
C’est pour des voisines posées,
Ou le regard des inconnus,
Que ses robes se sont usées ;
Pas de romans, ni de musée
Où l’on voit des hommes tout nus.
De loin en loin, les jours de foire,
Une soirée avec du thé,
Une valse en robe de moire,
Ou la loge perdue et noire,
D’un théâtre collet monté.
Lorsque par hasard, elle cause
Avec quelqu’un, c’est plus banal
Que le papillon et la rose,
C’est froid, c’est triste, quelque chose
Comme les murs d’un tribunal.
Pourtant, elle aimerait à rire,
À plaire, à plaisanter un brin,
Elle est française, c’est tout dire ;
Si son cœur a ce qu’il désire
Son âme, elle, a bien du chagrin.
Près de la porte de sa dame
Le Monsieur se tient de planton ;
Qu’en espère-t-il sur mon âme ?
A-t-il peur qu’on viole sa femme
Comme une poupée en carton ?
Saints du Ciel, venez à leur aide
Et qu’à l’heure où l’on fait l’amour,
Elle lui dise froide et raide :
Vois, ami, comme je suis laide,
Personne ne me fait la cour.