Les Bergeries – Alcidor
Que cette nuit est longue et fâcheuse à passer !
Que de sortes d’ennuis me viennent traverser !
Depuis qu’un bel objet a ma raison blessée,
Incessamment je vois des yeux de ma pensée
Cet aimable soleil auteur de mon amour,
Qui fait qu’incessamment je pense qu’il soit jour,
Je saute à bas du lit, je cours à la fenêtre,
J’ouvre et hausse la vue, et ne vois rien paraître,
Que l’ombre de la nuit, dont la noire pâleur
Peint les champs et les prés d’une même couleur :
Et cette obscurité, qui tout le monde enserre,
Ouvre autant d’yeux au ciel qu’elle en ferme en la terre.
Chacun jouit en paix du bien qu’elle produit,
Les coqs ne chantent point, je n’entends aucun bruit,
Sinon quelques zéphirs, qui le long de la plaine
Vont cajolant tout bas les nymphes de la Seine.
Maint fantôme hideux, couvert de corps sans corps,
Visite en liberté la demeure des morts.
Les troupeaux, que la faim a chassés des bocages,
À pas lents et craintifs entrent dans les gagnages.
Les funestes oiseaux, qui ne vont que la nuit,
Annoncent aux mortels le malheur qui les suit.
Les flambeaux éternels, qui font le tour du monde,
Percent à longs rayons le noir cristal de l’onde,
Et sont vus au travers si luisants et si beaux
Qu’il semble que le ciel soit dans le fond des eaux.
Ô nuit ! dont la longueur semble porter envie
Au seul contentement que possède ma vie :
Retire un peu tes feux, et permets que le jour
Vienne sur l’horizon éclairer à son tour,
Afin que ces beaux yeux pour qui mon coeur soupire
Sachent avant ma mort l’excès de mon martyre.