Pour un marinier
Dessus la mer de Cypre où souvent il arrive
Que les meilleurs nochers se perdent dès la rive,
J’ai navigué la nuit plus de fois que le jour.
La beauté d’Uranie est mon pôle et mon phare,
Et, dans quelque tourmente où ma barque s’égare,
Je n’invoque jamais d’autre dieu que l’Amour.
Souvent à la merci des funestes Pléiades
Ce pilote sans peur m’a conduit en des rades
Où jamais les vaisseaux ne s’étaient hasardés,
Et, sans faire le vain, ceux qui m’entendront dire
De quel art cet enfant a guidé mon navire,
Ne l’accuseront plus d’avoir les yeux bandés.
Il n’est point de brouillards que ses feux n’éclaircissent ;
Par ses enchantements les vagues s’adoucissent ;
La mer se fait d’azur et les cieux de saphirs,
Et, devant la beauté dont j’adore l’image,
En faveur du printemps, qui luit en son visage,
Les plus fiers aquilons se changent en zéphyrs.
Mais, bien que dans ses yeux l’amour prenne ses charmes,
Qu’il y mette ses feux, qu’il y forge ses armes,
Et qu’il ait établi son empire en ce lieu,
Toutefois sa grandeur leur rend obéissance ;
Sur cette âme de glace il n’a point de puissance,
Et seulement contre elle il cesse d’être dieu.
Je sais bien que ma nef y doit faire naufrage ;
Ma science m’apprend à prédire l’orage ;
Je connais le rocher qu’elle cache en son sein ;
Mais plus j’y vois de morts et moins je m’épouvante ;
Je me trahis moimême, et l’art dont je me vante,
Pour l’honneur de périr en un si beau dessein.