Puisqu’il faut désormais que j’éteigne ma flamme
Puisqu’il faut désormais que j’éteigne ma flamme,
Seul et cruel remède, avec l’eau de mes pleurs,
Et que pour m’arracher les épines de l’âme
Je m’ôte aussi du coeur les roses et les fleurs,
Sortez de mon esprit, pensers pleins de délices,
Cher et doux entretien dont l’état est changé,
Qu’un injuste mépris convertit en supplices,
Je vous ouvre la porte, et vous donne congé.
Avec vos mots flatteurs et vos feintes idoles
De constance et de foi, déités sans pouvoir,
Dont le son déguisait si souvent ses paroles,
Quel amant n’eût été facile à décevoir ?
Me jurer que son coeur, dont les flammes sont mortes,
Allumé d’un beau feu soupirait nuit et jour,
Et de branches de myrte, étreint en mille sortes,
Brûlait avec le mien dessus l’autel d’Amour,
M’appeler son triomphe et sa gloire mortelle,
Et tant d’autres doux noms choisis pour m’obliger,
Indignes de sortir d’un courage fidèle
Où si soudain après l’oubli s’est vu loger,
Adieu, bel oeil brillant, armé de flamme claire,
Superbe roi des coeurs de rayons couronné,
Dont le lustre m’offense à force de me plaire,
Et par trop de bonheur me rend infortuné,
Tu ne me verras plus baigner le mien de larmes,
Pour avoir éprouvé le feu de tes regards :
Le temps contre tes traits me donnera des armes,
Et l’absence et l’oubli reboucheront tes dards.
Adieu constants liens des volontés esclaves,
Cheveux blonds, filets d’or, par ondes agités,
Qui captivez l’orgueil des courages plus braves,
Et dans les noeuds d’amour leurs desseins arrêtez.
Adieu bouche d’oeillets et de roses vermeilles,
Qui respires sans cesse un printemps gracieux,
Où mille et mille amours volètent comme abeilles,
Cueillant de tes beautés le miel délicieux.
Adieu main qui les lys et les perles imites,
Belle et cruelle main qui me tends mille appas,
Et de lettres de sang avec le fer écrites
Traces dedans mon coeur l’arrêt de mon trépas.
Adieu fertile esprit source de mes complaintes,
Adieu charmes coulants dont j’étais enchanté :
Contre le doux venin de ces caresses feintes
Le souverain remède est l’incrédulité.
Mais que disje, ô mon tout, quel trouble me transporte,
De tes beaux yeux vainqueurs vouloir rompre la loi,
Et briser tant de noeuds dont l’étreinte est si forte,
Comme si mon vouloir était encore à moi ?
Non non c’est une erreur, l’amour qui me possède
Ne se peut voir dompter par temps ni par raison,
Le trépas seulement à qui tout désir cède
Porte dedans ses mains les clefs de ma prison.
Adieu donques vousmême, adieutrop plein d’audace,
Adieu desseins légers et propos insensés,
Dignes d’être punis d’une juste disgrâce,
Si l’excès de l’amour ne vous avait poussés.