Quand le flambeau du monde
Quand le flambeau du monde
Quitte l’autre séjour,
Et sort du sein de l’onde
Pour rallumer le jour,
Pressé de la douleur qui trouble mon repos,
Devers lui je m’adresse, et lui tiens ce propos :
Bel astre favorable
Qui luis également,
Aux humains secourable
Fors qu’à moi seulement,
Soleil qui fais tout voir, et qui vois tout aussi,
Vistu jamais mortel si comblé de souci ?
Depuis que ta lumière
Vient redonner aux cieux
Sa splendeur coutumière,
Si délectable aux yeux,
Jusqu’au soir qu’elle va dans les eaux se perdant,
Mon soleil est toujours au point de l’Occident.
Une nuit éternelle,
Pleine de soin divers,
M’éblouit la prunelle,
Et tient mes yeux ouverts,
Ma lumière affaiblit, et mon âme défaut,
L’espérance me laisse et la douleur m’assaut.
Je cherche les ténèbres,
Les antres et les bois,
Dont les accents funèbres
Répondent à ma voix.
La crainte et la terreur marchent à mon côté,
Et de mes propres cris je suis épouvanté.
Ma liesse est passée,
Mes beaux jours sont ternis,
Mon âme est oppressée
De regrets infinis,
Le deuil et la tristesse accompagnent mes pas,
Et les vont adressant au chemin du trépas.
Pendant que le jour dure,
Des autres souhaité,
Je cours à l’aventure
Parmi l’obscurité,
Cherchant quelque accident qui finisse mon sort,
Et ne vivant sans plus que d’espérer la mort.
Et puis quand la nuit sombre
Vient au lieu du soleil,
Et cache sous son ombre
L’horreur et le sommeil,
Joignant les mains ensemble et levant les deux yeux,
J’adresse ma parole aux étoiles des cieux :
Astres pleins d’influence,
Aux mortels gracieux,
Qui guidez le silence
Et le somme otieux
Et ramenez la nuit dont la sombre couleur
Me semble conspirer avecques ma douleur,
Flammes claires et belles,
C’est ores que je veux
Que vous soyez fidèles
A témoigner mes voeux,
Et que votre clarté me serve de flambeau,
Pour conduire mon âme en la nuit du tombeau.
Depuis que vos images
Vont au ciel paraissant,
Et les divers présages
Aux hommes annonçant,
Jusqu’au point que Thétis les reçoit en ses flots,
Jamais mes tristes yeux du sommeil ne sont clos.
Mille étranges pensées,
Mille tourments secrets,
Mille offenses passées,
Mille cuisants regrets
Forcent ma patience, et ne me laissent point
Endormir au souci qui sans cesse me point.
Les peines éternelles,
Les supplices divers
Des âmes criminelles
Qui souffrent aux enfers,
Agitent mon esprit privé de son repos,
Que mainte flamme obscure étonne à tout propos.
Parmi cent mille alarmes
Je passe ainsi les nuits,
Les yeux remplis de larmes,
Et le coeur plein d’ennuis,
N’ayant autre confort qu’à penser seulement
Que j’ai plus offensé que je n’ai de tourment.
Mais celui dont la grâce
S’éloigne de mon chef
Fera luire sa face
Dessus moi derechef.
Alors je recevrai ma première clarté,
Changeant mes nuits d’hiver aux plus beaux jours d’été.