à alphonse allais
A cette époque c’était la paix c’est-à-dire la guerre
ailleurs et la vie du plus pauvre avait de la valeur Le pain avait le goût du pain le vin avait le goût du vin
et la tristesse parfois avait encore le goût du rire La vitesse était neuve et douce de grands chevaux-vapeur attelés aux trains omnibus
faisaient diligence de Honfleur à Paris de Paris à
Honfleur A cette époque Alphonse Allais jouait avec la vie
comme le chat avec la souris et la vie jouait avec lui
comme la Fourrière avec le chien la mort aux rats
avec le rat le militaire avec sa vie Alphonse Allais jouait avec la vie comme l’enfance avec la connerie A son berceau la fée d’Honneur lui avait cérémoniale-
nient demandé Seras-tu sérieux Alphonse Allais Jamais madame
Jamais
avait répondu l’enfant à la fée C’est grave c’est très gTave tu sais avait dit la fée en claquant la porte Je sais
je sais et que le bon Dieu vous emporte chère fée L’enfant savait
Un peu plus tard adolescent derrière les bocaux de couleur de la pharmacie de Honfleur
il riait dans la barbe des gens
et quand la barbe de ces gens bien élevés et bien pensants se hérissait et se hérissonnait
le fou rire alors l’emportait
et il se laissait emporter frémissant
à la gare Saint-Lazare où l’âge d’homme l’attendait
Voyages
douleurs divertissements
Plages de Paris la nuit
les filets du souvenir séchaient à la terrasse des cafés
et le vieil enfant de la Pharmacie
sur le sable
dans la sciure mouillée
traçait du bout de sa canne
les plans d’un univers cocasse cruel et vrai
Univers salé
univers d’Alphonse Allais ce petit univers tendre et désordonné d’une logique intense jamais désarçonnée
A peine entendue à peine écoutée la musique d’Erik Satie l’accompagnait
Traçons à notre tour
sur le sable mouillé
traçons en signe d’amitié
un monument momentané à Alphonse Allais
comme une falaise de craie
en souvenir de la mer
tracée sur l’ardoise d’un café
Élevons ce monument à la mémoire d’Alphonse Allais
gentil garçon de cage de la grande ménagerie
où les Fauves humains savants et cultivés
se dévorent à belles dents horrifiées et cariées
Monument forain et acrobatique où chaque acrobate dûment stylé représente une pièce détachée de la pyramide humaine élevée à Alphonse Allais Premier acrobate : la côte d’Adam
deuxième acrobate (plus
petit) : la pomme d’Adam
troisième : la cuisse de Jupiter
quatrième : le talon d’Achille
cinquième : la verge de Moïse
sixième : le cou-de-pied de Vénus
septième : le foie de Prométhée
huitième : le sacré cœur de J.-C.
neuvième : la tête de Méduse
dixième : les oreilles de Midas
onzième : la langue d’Esope
douzième : le nez de Cléopâtre
treizième : la queue de Lucifer
quatorzième : le doigt de Dieu
Ce doigt remuant menaçant donne un petit faux mouvement perpétuel à l’ensemble du monument
Le numéro terminé tout le monde sautera à terre et s’enfuira en poussant des cris
et cela toujours sur la musique d’Erik Satie
Et nous reconnaîtrons dans l’assistance Jack lTÉven-treur Ivan le Terrible Bernard lUennite Guillaume le Taciturne Louis le Débonnaire Alexandre le Grand Charles le Téméraire Roger la Honte Raymond la science Pierrot les Grandes Feuilles Robert le Pieux Rosa la Rose Jalma la Double Montluc le Rouge Valentin le Désossé Fanfan la Tulipe Laniel le Bœuf et Olivier le Daim Nabot Léon premier Nabot l’Aiglon deux Napo Léon trois et Tutti Quanti.