Arbres
En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c’est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la languie verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent des humains
Les arbres parlent arbre comme les enfants parlent enfant
Quand un enfant de femme et d’homme adresse la parole à un arbre
l’arbre répond
l’enfant l’entend
Plus tard l’enfant
parle arboriculture
avec ses maîtres et ses parents
Il n’entend plus la voix des arbres
il n’entend plus leur chanson dans le vent
Pourtant parfois une petite fille pousse un cri de détresse dans un square de ciment armé d’herbe morne et de terre souillée
Est-ce… oh… est-ce la tristesse d’être abandonnée qui me fait crier au secours ou la crainte que vous m’oubliiez arbres de ma jeunesse ma jeunesse pour de vrai
Dans l’oasis du souvenir une source vient de jaillir est-ce pour me faire pleurer
J’étais si heureuse dans la foule la foule verte de la forêt avec la peur de me perdre et la crainte de me retrouver
N’oubliez pas votre petite amie arbres de ma forêt.
A
Antibes rue de l’Hôpital
où l’herbe à chats surgit encore indemne entre les
pavés il y a un grand micocoulier
Il est dans la cour de l’asile des vieillards
Hé oui c’est un micocoulier dit un vieillard assis sur un banc de pierre contre un mur de pierre
et sa voix est doucement bercée par le soleil d’hiver
Micocoulier
ce nom d’arbre roucoule dans la voix usée
Et il est millénaire
ajoute le vieil homme en toute simplicité
beaucoup plus vieux que moi mais tellement plue
jeune encore millénaire et toujours vert
Et dans la voix de l’apprenti centenaire il y a un peu d’envie beaucoup d’admiration une grande détresse et une immense fraîcheur.
Si jamais à
Paris
vous passez par la rue
Pillet-Will
qui va de la rue
La
Fayette à la rue
Laffitte
en tournant oblique
emportez une plante
vm brin d’herbe
un petit arbre
ou alors il vous arrivera
oh non pas malheur
mais un tel ennui instantané et qui vous attend au tournant que même le petit bossu de la rue
Quincampoix en grelotterait d’ennui et d’horreur
pauvre petit spectre
sur lequel cette rue bardée de misère d’or
jetterait
comme une aumône
un froid
Celui qui plantera un arbre secret dans la rue
Pillet
Will n’aura son nom marqué sur aucune façade mais sans le savoir les passants lui seront très reconnaissants en écoutant dans cette rue mendiante stricte et veuve
de tout un petit air de musique verte insolite salutaire et surprenant.
Dans un bois
un homme s’égare
Un homme de nos jours et des siens en même temps
Et cet homme égaré sourit
il sait la ville tout près
et qu’on ne se perd pas comme ça
il tourne sur lui-même
Mais le temps passe
oui le temps disparaît et bientôt le sourire aussi
Il tourne sur lui-même
qui tourne autour de lui
L’espace est une impasse
où son temps s’abolit
D a un peu terreur
il a un peu ennui
C’est idiot se dit-il
mais il a de plus en plus terreur
ennui souci
Est-ce
Meudon la
Forêt-Noire
Bondy
les gorges de
Ribemont
d’Apremont
n sait pourtant
que c’est le bois de
Clam art
mais il y a quelque chose dans sa mémoire
dans son imaginatoire
quelque chose qui hurle à la mort
en lui tenant les côtes
Mais il a beau essayer de sourire encore
le fou rire de l’enfance
est enfermé dans le cabinet noir
Il a terreur et panique de logique
et dans ce bois comme navire sur la mer
il a roulis angoisse désarroi de navire
Oh je ne suis pas superstitieux
mais je voudrais toucher du bois
pour ne pas le devenir
Toucher du bois
tout est là
Et dans son désarroi
il se fouille comme un flic fouille et palpe un autre
être
Pas de cure-dents pas d’allumettes nulle amulette
Il est de plus en plus perdu aux abois comme biche ou cerf et il oublie de plus en plus que les arbres sont des arbres et que les arbres sont en bois
Toucher du bois
toucher du bois
Soudain derrière lui tout entier
le bois
dans un véritable fou rire
intact ensoleillé
disparaît
Sur une route
passe un laveur de carreaux
en vélo
une échelle sur l’épaule
beau comme un clown de
Médrano
Une échelle
une échelle en bois
en bois à toucher
L’homme
comme un naufragé hurle terre
comme un assoiffé hurle eau
comme un condamné hurle grâce
l’homme hèle le cycliste
l’homme hurle bois
Le cycliste passe
Un corbillard rapide et vide
avec un chauffeur hilare
renverse l’homme sans s’en apercevoir.