Aux champs…
Il y a paraît-il
dans une roseraie une rose
qu’on appelle
Veuve inconsolable du regretté
Président
Doumergue c’est triste c’est regrettable il y a ou plutôt il y a eu
un homme qui a écrit ces mots
Demain sur nos tombeaux les blés seront plus beaux c’est triste c’est regrettable parce que le blé ne pousse pas précisément
sur les tombeaux des hommes qui sont tombés pour que monte ou descende le cours du blé ou même le cours de la pensée du charbon ou des fleurs
et pourtant on peut voir
gravée par de très honorables graveurs
sur l’effroyable billet de banque
sur l’épouvantable billet de faveur
la stupide gravure en couleur
l’affligeante et provocante image de labeur
où malgré lui le travailleur
est soigneusement représenté
tout joyeux le rire sur les lèvres
et l’outil à la main
ou bien
éclatant de santé
dans un ravissant paysage d’été
et fauchant en chantant alertement les blés
mais on ne voit jamais
l’image simple et vraie
le travailleur en sueur et fauché comme les blés
c’est triste
c’est regrettable
mais les gerbes sont liées
le travailleur aussi
avec leurs grands billets les grands favorisés
se sont payé sa tête
et son corps tout entier
avec tout le travail de toutes ses années
toutes les gerbes sont liées
chaque grain est compté
chaque geste capté
chaque fleur arrachée
le blé monte et descend
en même temps que l’argent
en même temps que le sucre
en même temps que l’acier
et le compte du travailleur
est sagement réglé
à l’octroi de
Profit
la guerre est déclarée
et sur la terre encore fraîchement remuée
dans les ruines des villes par eux-mêmes bâties
ceux qui étaient les plus vivants et les plus forts
les plus gais
les meilleurs
restent là immobiles couchés aux champs d’honneur
la tête dans la mort et la fleur au fusil
la mémorable fleur de leur si simple vie
et la fleur à son tour
doucement se pourrit
la fleur des amours la fleur des amis
et sur ce champ d’honneur
d’honneurs et de profits
un peu plus tard
sur ce champ d’honneur soigneusement nivelé
toute seule
la fleur artificielle
la rose invraisemblable
la fleur à faire vomir
la fleur à faire hurler
la veuve inconsolable du
Président untel
blême et rose chou-fleur atrocement greffé
ignoble végétal stupidement simulé
encore une fois
de force
et avec le concours assuré de la musique militaire
est accrochée épinglée rivée
à la boutonnière de la terre
de la terre abîmée
de la terre solitaire
de la terre saccagée bafouée et désolée
désespérée
endimanchée.