Confidences d’un condamné
Pourquoi on m’a coupé la tête?
Je peux bien le dire maintenant, tout s’efface avec le temps.
C’était si simple, vraiment.
J’étais allé passer la soirée chez des amis mais il y avait beaucoup de monde et je m’ennuyais.
A cette époque j’étais un peu triste et j’avais facilement mal à la tête.
Cette atmosphère de fête m’irritait et me fatiguait.
Je pris congé.
La maîtresse de maison me prévint que la minuterie était détraquée et que l’ascenseur était en panne lui aussi.
—
Je peux vous faire un peu de lumière, attendez.
—
De la lumière, vous plaisantez, lui dis-je, je suis
comme les chats, moi, je vois clair la nuit.
—
Vous entendez, dit-elle à ses amis, il est comme les
chats, c’est merveilleux, il voit clair la nuit.
Pourquoi avais-je dit cela, une façon de parler, une
phrase polie et qui se voulait spirituelle, dégagée.
Je commençais à descendre péniblement les premières
marches de l’escalier et les petites barres de cuivre du tapis faisaient un bruit curieux sous mes pas qui glissaient.
J’étais dans une si noire obscurité que j’eus d’abord envie de remonter et d’appeler.
Je fouillais d’abord mes poches, mais vainement, pas d’allumettes.
Je m’assis et réfléchis, à quoi, je ne sais plus, j’attendais peut-être que quelqu’un vînt à mon secours sans, bien entendu, savoir ou deviner que j’avais besoin d’aide.
Me relevant péniblement et ne trouvant pas la rampe, je me heurtais violemment contre un mur et me mis à saigner du nez.
Cherchant dans mes poches un mouchoir, je mis enfin la main sur une boîte d’allumettes avec, fort malencontreusement, une seule allumette dedans.
Je rallumai avec d’infinies précautions et, cherchant une nouvelle fois la rampe, j’aperçus d’abord dans un miroir, sur le palier de l’étage où je m’étais arrêté, mon visage couvert de sang.
Et ce fut à nouveau l’obscurité.
Je me trouvais de plus en plus désemparé.
Soudain, étendant au hasard, à tâtons, la main, je touchai un serpent qui se mit à glisser.
Charmante soirée.
Ce serpent, c’était tout simplement la rampe que par bonheur j’avais retrouvée et qui rampait doucement sous ma main qui venait d’essuyer mon visage si stupidement ensanglanté.
Je me mis alors à rire : j’étais sauvé.
Et comme je descendais allègrement mais prudemment, je fus tout à coup renversé par quelqu’un ou quelque chose qui, à toute vitesse, lui ou elle aussi, descendait en même temps qu’une petite flamme, sans aucun doute celle d’un briquet.
Me relevant encore une fois, je marchai à nouveau dans le noir, mes deux mains devant moi.
Ces deux mains rencontrèrent le mur et le mur céda…
Ce n’était pas le mur mais une porte entrouverte.
Soudain de la musique et de la lumière venant des étages supérieurs !
Sans aucun doute des invités qui, à leur tour, descendaient et que la maîtresse de maison accompagnait, un flambeau à la main.
Vraiment, je ne savais où me mettre et ce n’était pas une façon de parler; aussi, profitant de cette porte pour me dissimuler, je pénétrai plus avant, quand tout à coup, dans la lumière qui grandissait, je découvris un corps étendu à mes pieds.
C’était le corps d’Antoinette.
Elle était là, couchée, les yeux ouverts, la gorge aussi.
Antoinette avec qui j’avais vécu si longtemps et qui, le mois dernier, m’avait abandonné.
Antoinette que j’avais suppliée, que j’avais même menacée.
Je ne pus retenir un cri.
De terreur, ce cri et de stupeur aussi.
La maîtresse de maison, les invités se précipitent, des portes s’ouvrent, d’autres lumières bientôt se mêlent à la leur, portées par d’autres locataires déshabillés, terrorisés et blêmes.
Beaucoup de temps déjà s’était écoulé depuis que j’avais pris congé et j’étais là, muet et couvert de sang, hagard comme dans les pires histoires.
Près du oorps de mon amie perdue et — en quel état — retrouvée, sur le parquet, une lame luisait comme un morceau de lune dans un ciel étoile.
Dans chaque main tremblante une lumière bougeait.
Présence inexplicable ou bien trop expliquée.
Vous voyez d’ici le procès : le pourvoi rejeté, le petit verre, le crucifix à embrasser et encore comme une lune, le couperet d’acier.
Que voulez-vous, mettez-vous à ma place.
Que pouvais-je dire, que pouvais-je raconter?
J’avais passé un trop mauvais quart d’heure dans les mornes ténèbres de ce noir escalier et j’avais eu la folle imprudence d’affirmer : je vois clair la nuit, moi, je suis comme les chats.
Qui m’aurait cru alors et sans me rire au nez ?
Oui, j’en suis sûr, on m’aurait ri au nez pendant de longues, de trop longues années à mon gré.
J’ai préféré me taire plutôt que d’être ridiculisé.