Dominique

Jacques Prévert
par Jacques Prévert
100 vues
0.0

Dans sa vie pré-natale une grand’mère de contes de fées l’appelait la petite Russe. Mais elle est née pour de vrai à Pékin en 1939, un an avant la naissance de Pierrot, son fils.

Toute cette vie, Dominique a vu du pays qui lui en a fait voir lui aussi,

du Proche-Occident au lointain-Orient, de la Détresse au Désarroi.

Néfaste caresse, le malheur du monde la touchait sans cesse-Couverte de bleus et de cicatrices, elle tremblait pour ceux qui s’entre-tuaient et puis rêveuse, heureuse en rêve, elle reprenait sa danse sur le fil d’acier, rencontrait la paille et retombait en cage, meurtrie et réveillée.

Elle s’évadait.

Hélas, hors des barreaux, l’oiseau se heurte vainement à la vitre et tout comme lui, elle retombait bien vite en liberté séquestrée.

Parfois l’amoral de l’Histoire la faisait sourire mais la tuerie mondiale lui était de plus en plus odieuse et bien plus encore, toutes ses bonnes excuses :

– Si vous saviez ce qu’il nous faut souffrir pour ne pas torturer davantage!

Nomade, elle errait à travers le monde accidenté

et dans le charnier des idées

partait à la recherche d’un espoir épargné.

Elle le trouvait.

C’était toujours un petit espoir exténué, haletant moribond.

Elle le voyait radieux, éclatant de santé, lui trouvait une beauté, le prenait dans ses bras et l’emportait Ailleurs.

Ailleurs était toujours interdit, barbelé.

Alors elle retombait d’un pays dans un autre pays et c’était toujours le même pays d’où elle retombait de clinique en clinique et c’était la même clinique, en Chine à Saint-Tropez en Belgique.

Avec toujours le même visiteur à l’heure de la visite.

Et elle avait beau dire :

– Je ne suis là pour personne et surtout quand c’est lui!

Il insistait.

– Je suis le Désespoir.

– Je ne peux pas vous souffrir et je n’ai pas l’horreur de vous connaître, répondait-elle.

– On dit ça! disait-il.

– Qui c’est ça on, qu’est-ce que c’est que ça? disait-elle.

Il insistait.

– Pourquoi ce mal, ce chagrin et ces atroces cicatrices, pourquoi cette vie?

– Est-ce que je sais!

– Moi, je sais!

– Menteur!

Elle appelait l’infirmière ou la sœur.

– Reconduisez le visiteur.

Il s’en allait bredouille en hochant ses médailles, le jour se levait ou la nuit, ou les deux ensemble, et causaient avec elle.

Et puis c’était l’appel des malades. – Debout là-d’dans!

les uns se levaient péniblement et répondaient Présent, d’autres se taisaient ou mouraient. Déchirant sa feuille de température Dominique répondait Futur.

Jacques Prévert

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Jacques Prévert

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Dans le monde de la poésie, chaque mot compte. Votre voix a sa place ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Jacques Prévert

Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.