Fleurs et couronnes

Jacques Prévert
par Jacques Prévert
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Homme

Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les

fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l’as appelée
Pensée.
Pensée

C’était comme on dit bien observé
Bien pensé
Et ces sales fleurs qui ne vivent ni se ne se fanent

jamais
Tu les as appelées immortelles…
C’était bien fait pour elles…
Mais le lilas tu l’as appelé lilas
Lilas c’était tout à fait ça
Lilas…
Lilas…

Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur
C’est pareil.

L’essentiel c’était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir…
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs

simples
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère

Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouilles

A côté des vieux chiens mouillés

A côté des vieux matelas éventrés

A côté des baraques de planches où vivent les sous-

alimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent
Hélianthe
Toi tu l’as appelée soleil …
Soleil…

Hélas ! hélas ! hélas et beaucoup de fois hélas !
Qui regarde le soleil hein?
Qui regarde le soleil ?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu’ils sont devenus
Des hommes intelligents…
Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur

boutonnière
Ils se promènent en regardant par terre
Et ils pensent au ciel

Ils pensent…
Ils pensent… ils n’arrêtent pas de penser…
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
Les immortelles et les pensées
Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la

boue des regrets…
Ils se traînent
A grand-peine

Dans les marécages du passé
Et ils traînent… ils traînent leurs chaînes
Et ils traînent les pieds au pas cadencé…
Us avancent à grand-peine
Enlisés dans leurs champs-élysées
Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
Oui ils chantent
A tue-tête

Mais tout ce qui est mort dans leur tête

Pour rien au monde ils ne voudraient l’enlever

Parce que

Dans leur tête

Pousse la fleur sacrée

La sale maigTe petite fleur

La fleur malade

La fleur aigre

La fleur toujours fanée

La fleur personnelle…


La pensée…

Jacques Prévert

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