Fragment d’une lettre adressée à mayo
… et comme chaque année jamais le printemps
par ici comme ailleurs n’a été aussi beau
Et qu’est-ce que ça peut faire
disait le charbonnier
que le monde soit mauvais
puisque la vie est belle
A ce propos mon cher
Amimayo
connais-tu la nouvelle
elle est bien bonne
Dieu est mort à ce qu’il paraît
les éditions
Gallimard m’ont envoyé
une lettre de faire peur je l’ai donnée à lire à mon chat ça devait arriver m’a dit le matou gris tant va la cruche à l’eau de vie qu’à la fin du compte elle se meurt enfin nous verrons ça plus tard au
cinématougraphe
D’accord a dit le facteur les plus longues plaisanteries ne sont pas forcément
les meilleures
Et nous avons trinqué ensemble tous les trois le chat le facteur et moi et nous avons beaucoup parlé de toi
Ce qui me plaît disait le facteur
c’est la grande image
avec tous ces bons garçons
qui assomment les oiseaux
avec des gros bâtons
c’est très justement observé
et c’est plein d’altruisme et de solidarité
Tout à fait comme dans la vie
tout à fait comme dans le métro
quand ils se regardent sans oser se voir
et qu’ils se soufflent dans le nez sans mot dire
Et leurs doigts se boudinent en douce
et leurs cheveux se dressent et tombent
sur leurs vestons mouillés
et leurs genoux se cagnent
et ils ont envie de pleurer
alors
avec le bâton du souvenir
avec la trique du désir inassouvi
avec le casse-tête de la mémoire trop fidèle
ils pourchassent les oiseaux du regret
ils assomment tout ce qui vole encore
et les petits moineaux crevés des doux jardins
d’hiver de l’enfance oubliée
ils les achèvent dans leur tête
frénétiquement sans bouger
à coups de pied
sans sourciller
et puis ils descendent à la
Muette
ou bien au
Père
Lachaise
ou bien à la
Cité
avec leur très grosse tête
remplie de plumes vertes
et de mauvais sang caillé
et leur grosse tête bien blême
se tient toute droite debout
au
Kierkegaaarde à vous
en équilibre mou
sur leurs épaules étroites
Moi dit le chat
je préfère s’il vous plaît
les petits paysages humains et clandestins
ces tendres jeux de mains de belles et de vilains
ces caresses chuchotées en pièces détachées
et je vous avouerai
que j’ai un petit faible
pour le sujet en peinture
Et si nous buvions un coup
dit le facteur
à la santé du peintre
À cet instant la porte s’ouvre
et trois personnages entrent dans la pièce
et sans se faire annoncer
car ni le chat ni le facteur ni moi
ne les aurions reçus
je suis dit le premier
l’abbé
Moral le
Bienheureux
Curé d’Art
directeur de conscience picturale
pour la localité
et voici
Jean
Paulhan
qui vend des pots de fleurs à
Tarbes
et voici
Waldemar
Georges
Ohnet
auteur d’un remarquable article
paru dans le
Barbier de
Séville littéraire
et intitulé
deux points et guillemets
un
Maréchal de
France peut-il sans
Képi être statufié à cheval
Nous sommes venus ici pour parler
de choses et autres
et surtout pas de la pluie et du beau temps
mais très particulièrement
du sujet en peinture et d’ailleurs
à vrai dire en peinture peu importe le
sujet et même s’il n’y a pas ou peu
ou presque pas ou guère plus de sujet
l’essentiel c’est qu’il soit bon
oui
que ce soit un bon sujet
le
Bon
Sujet
tout est là
et c’est pareil pour la pendule
et itou pour la conversation
•
Comme c’est beau les amandiers en fleurs
dit le facteur
et l’amour dit le chat
et le souvenir
•
Sur la route de
Tourrettes
une petite fille chantait
c’était comme aujourd’hui
le doux début de
Mai
elle chantait un cantique
c’était beau à pleurer
car
elle avait changé presque toutes les paroles
parce que presque toutes les paroles
lui déplaisaient
ainsi la liberté tient la
vérité par la main
dans la bouche des enfants
C’est le mois des cerises
c’est le mois le plus beau
nous mangerons les cerises
nous cracherons les noyaux
Voilà ce qu’elle chantait
au plus clair du soleil
mon cher
Amimayo
et sa voix se perdait dans les
Gorges du
Loup
Mais ça me rappelle
dit le facteur
une très très vieille ritournelle
que chantait toujours ma sœur
elle est morte seule aujourd’hui
mais ça n’empêche pas bien sûr
la chanson d’être jolie
Une rose pleurait au jardin des olives
Jésus
Christ m’a fauché mes épines pour se couronner de lauriers maintenant ils vont m’arracher à la terre…
… et je ne me rappelle pas très bien la suite
tout ce que je sais
c’est qu’il y avait dans l’histoire
un homme qui s’appelait Éros
et que la rose l’appelait en mourant.