La fontaine des innocents

Jacques Prévert
par Jacques Prévert
1 vues
0.0

Couché sur une bouche de chaleur au coin de l’avenue
Victoria et de la rue des
Lavandières-Sainte-Opportune un roi fainéant du pavé se redresse titubant plein à craquer et hurle à la lune

Oui j’ai une jambe de verre

et j’ai un oeil de bois

et pourtant quinze femmes font le tapin pour moi

Comme les doigts du pianiste sur l’ivoire du piano

comme les petites baguettes sur l’âne du tambour

elles tricotent des gambettes boulevard de
Strasbourg

et dévêtues de noir

ne riant pas souvent

elles sont matin et soir

offertes à tous vents

Elles couchent avec la misère

elles font des passes de balayeur

elles pagent debout à l’instant même avec les dépréciés les mutilés les économiquement faibles les sous-alimentés
Un signe et le livreur descend de sa voiture et le très triste amour est fait à toute allure contre la roue de secours
Et quand il a vendu sa douzaine de crayons le marchand de crayons ne dit pas non plus non et l’homme-orchestre au visage brûlé n’enlève pas sa musique pour se faire caresser

Oui

quinze femmes je vous le dis comme c’est m’attendent chaque nuit à la
Fontaine des
Innocents j’ai qu’à tendre les mains comme un panier d’osier l’osier attire l’osier elles mettent l’osier dedans

Oh je vous vois venir bonnes et braves gens

Il ne doit rien se refuser

cet homme avec tout cet argent

Si ça vous intéresse ce que je fais du fric je le mets dans

mon froc et j’attends l’heure l’heure du marché aux fleurs et quand c’est l’heure j’achète des fleurs des tapées de fleurs et je prends le train à la gare de l’Est
Oh vous ne savez pas ce que c’est à
Paris que la gare de

l’Est ou vous ne devez plus le savoir

Et mes quinze femmes m accompagnent à la gare et les larmes aux yeux font trembler le mouchoir et le train démarre et m’emporte avec les autres voya

geurs oui le train démarre et m’emporte avec les fleurs et ces fleurs moi je les apporte à cette crispante harpie qui crie sur le quai d’une gare son affreux cri

Dragées de
Verdun

Madeleines

Madeleines de
Commercy

Oui je lui apporte ces fleurs-là en plein air comme à une morte sous terre pour qu’elle se taise oui

qu’elle cesse un instant son cri
Marie-Madeleine de
Commercy son affreux cri de guerre

qui porte la poisse au permissionnaire qui s’en retourne à la tuerie.

Jacques Prévert

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Jacques Prévert

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Partagez vos rêves et vos vers comme Rimbaud, et transformez notre forum en une éternelle saison des poètes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.