Riviera
Assise sur une chaise longue
une dame à la langue fanée
une dame longue
plus longue que sa chaise longue
et très âgée
prend ses aises
on lui a dit sans doute que la mer était là
alors elle la regarde
mais elle ne la voit pas
et les présidents passent et la saluent très bas
c’est la baronne
Crin
la reine de la carie dentaire
son mari c’est le baron
Crin
le roi du fumier de lapin
et tous à ses grands pieds sont dans leurs petits
souliers et ils passent devant elle et la saluent très bas de temps en temps elle leur jette un vieux cure-dents ils le sucent avec ravissement en continuant leur promenade
leurs souliers neufs craquent et leurs vieux os aussi et des villas arrive une musique blême
une musique aigre
et sure
comme les cris d’un nouveau-né trop longtemps
négligé c’est nos fils
c’est nos fils disent les présidents et ils hochent la tête doucement et fièrement et leurs petits prodiges désespérément
se jettent à la figure leurs morceaux de piano la baronne prête l’oreille cette musique lui plaît mais son oreille tombe comme une vieille tuile d’un toit elle regarde par terre et elle ne la voit pas mais l’aperçoit seulement et la prend tout bonnement
pour une feuille morte apportée par le vent c’est alors que s’arrête la triste clameur des enfants que la baronne n’entendait plus d’ailleurs que d’une oreille distraite et dépareillée
et que surgissent brusquement gambadent dans sa pauvre tête en toute liberté
les vieux refrains puérils méchants et périmés de sa mémoire inquiète usée et déplumée et comme elle cherche vainement pour passer le temps qui la menace et qui la guette un bon regret bien triste et bien attendrissant qui puisse la faire rire aux larmes ou même pleurer tout simplement
elle ne trouve qu’un souvenir incongru inconvenant
l’image d’une vieille dame assise toute nue
sur la bosse d’un chameau
et qui tricote méchamment une omelette au guano.