Tentative de description d’un dÎner de têtes à paris-france

Ceux qui pieusement…

Ceux qui copieusement…

Ceux qui tricolorent

Ceux qui inaugurent

Ceux qui croient

Ceux qui croient croire

Ceux qui croa-croa

Ceux qui ont des plumes

Ceux qui grignotent

Ceux qui andromaquent

Ceux qui majusculent

Ceux qui chantent en mesure

Ceux qui brossent à reluire

Ceux qui ont du ventre

Ceux qui baissent les yeux

Ceux qui savent découper le poulet

Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête

Ceux qui bénissent les meutes

Ceux qui font les honneurs du pied

Ceux qui debout les morts

Ceux qui baïonnette… on

Ceux qui donnent des canons aux enfants

Ceux qui donnent des enfants aux canons

Ceux qui flottent et ne sombrent pas

Ceux qui ne prennent pas le
Pirée pour un homme

Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler

Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de
Chine

Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton

Ceux qui volent des œufs et qui n’osent pas les faire cuire

Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de
Mont-Blanc, trois cents de
Tour
Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers

Ceux qui mamellent de la
France

Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres entraient fiévreusement à l’Elysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait

ceux qui travaillent dans la mine ceux qui écaillent le poisson ceux qui mangent la mauvaise viande ceux qui fabriquent les épingles à cheveux ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ceux qui coupent leur pain avec leur couteau ceux qui passent leurs vacances dans les usines ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste ceux qui crachent leurs poumons dans le métro ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux ceux qui ont trop à dire pour pouvoir le dire

ceux qui ont du travail ceux qui n’en ont pas ceux qui en cherchent ceux qui n’en cherchent pas ceux qui donnent à boire aux chevaux ceux qui regardent leur chien mourir ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises ceux que le suisse envoie se chauffer dehors ceux qui croupissent ceux qui voudraient manger pour vivre ceux qui voyagent sous les roues ceux qui regardent la
Seine couler ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente,

qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille, qu’on

assomme ceux dont on prend les empreintes ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille ceux qu’on fait défiler devant l’arc ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier ceux qui n’ont jamais vu la mer ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin ceux qui n’ont pas l’eau courante ceux qui sont voués au bleu horizon ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire

absolument dérisoire ceux qui vieillissent plus vite que les autres ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l’épingle ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi parce

qu’ils voient venir le lundi

et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi

et le samedi

et le dimanche après-midi.

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Jacques Prévert Apprenti Poète

Par Jacques Prévert

Jacques Prévert, né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine et mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite, est un poète français. Auteur de recueils de poèmes, parmi lesquels Paroles, il devint un poète populaire grâce à son langage familier et à ses jeux sur les mots.

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