À un inconnu
Qui donc a pu graver ces deux vers de moi, là,
Près des flots, sur la porte en fer d’une villa ?
Qui que tu sois, passant, merci. Ta main distraite
Écrivit ces deux vers sans penser au poète :
Tu passais ; tu rêvais ; tu t’assis un moment
Pour écouter la brise et le flot écumant ;
Puis, peut-être appelés par ce rythme sauvage,
Par l’insulte de l’onde irritée au rivage,
Ces deux vers sont venus chanter en ton esprit,
Et mon distique amer sur ce seuil est inscrit.
Or ce qui touche et fait palpiter mon cœur d’aise,
C’est de savoir qu’un jour sur la grande falaise
Ma pensée et mes vers, pareils à des oiseaux
Chanteurs, ont dominé pour toi le bruit des eaux.
Passant, mes yeux fixés sur cette porte noire
Ont l’éblouissement rapide de la gloire.
Cette porte de fer garde depuis deux ans
Ma pensée et mon nom en face des brisants,
De ce double infini de l’onde et de l’espace,
Du vaisseau qui gonflant toutes ses voiles passe,
Et l’écume que l’eau leur jette de trop bas,
La pluie ou le soleil ne les effacent pas ;
Livrerai-je mon cœur à l’espoir du présage ?
Tu m’as fait espérer, passant, que d’âge en âge,
Se heurtant, bondissant, l’un sur l’autre poussés,
Roulant dans leurs replis des vaisseaux fracassés,
Tantôt hurlant avec leurs millions de têtes,
Puis retrouvant la paix et l’oubli des tempêtes,
Les flots humains, pareils aux vagues de la mer,
Respecteront mon nom sur sa page de fer !