À une Arlésienne
J’avais de plus d’une fillette
Au charmant costume arlésien,
Provoqué l’œillade coquette,
Cherchant ce que chacun souhaite :
Le grand mal qui fait tant de bien !
Oui, j’avais voulu, le dirai-je
Sans regret ? boire un peu d’amour !
L’ennui monotone m’assiége,
Et, las de la paix du collége,
J’aspirais à vivre à mon tour.
Je portais donc au fond de l’âme
Un idéal de la beauté ;
Mais toujours devant une femme
Mon espoir tremblait, vaine flamme,
Au vent de la réalité.
Or, j’allais quitter votre ville,
Calme, le cœur froid et l’œil sec,
Riant du sot assez habile
Pour savoir trouver entre mille
Une Arlésienne au profil grec !
Lorsqu’en parcourant une église,
À l’heure où jette son adieu
La clarté du jour indécise,
Moi, pauvre pécheur, ô surprise !
Je vis un prodige de Dieu !
Trop malin pour être d’un ange,
Pour être d’un démon trop doux,
Un regard avec moi s’échange :
C’est le feu d’un soleil étrange,
Et ce rayon partait de vous.
À vos yeux faut-il que l’on donne
Des traits profanes ou divins ?
Je ne sais, Vénus ou Madone,
Qui doit tresser votre couronne,
Des Amours ou des Séraphins.
Mais vous fuyez… Moi, je cours vite
Offrir à votre doigt rosé
La pure goutte d’eau bénite :
Il touche ma main ; je palpite…
Doigt tentateur ! que n’ai-je osé ?
Envolez-vous, forme céleste ;
Mon cœur ailé vous rejoindra.
Fuyez ; votre image me reste,
Et mon amante, je l’atteste
Devant Dieu, vous ressemblera !
Allons ! il faut que j’en convienne,
La blonde Grèce à genoux doit
Tomber devant une Arlésienne !…
Jamais Déesse athénienne
Ne valut votre petit doigt !