La Saint-Éloi
La grand’messe chantée, en pompe le curé
Fait porter sous le porche un saint Eloi doré,
Vieux buste aux yeux d’émail, à figure béate,
Posé sur un brancard au tapis écarlate.
Le vicaire l’assiste et deux enfants de chœur.
Par avance, les deux abbés ont l’air moqueur
D’hommes trouvant déjà plaisant ce qu’ils vont dire
Et qui ne pourront pas s’entendre sans sourire.
Le défilé commence : ânes, chevaux, mulets,
Pêle-mêle accourus, gras, maigres, beaux ou laids,
Font le tour de la place où la foule se range ;
Puis, couverts d’un drap blanc, d’un rideau qui s’effrange,
Ou d’une couverture à ramages, chevaux,
Anes, mulets, ceux-ci sous des harnois nouveaux,
Ceux-là sous des pompons que jadis, temps prospères !
Ont gagnés leurs aïeux montés par nos grands-pères,
S’avancent un à un, en ordre, avec orgueil,
Vers l’église où, debout, le curé sur le seuil,
Psalmodiant, en blanc surplis de mousseline,
Bénit le cavalier qui salue et s’incline
Et tâche de forcer sa bête à se courber.
Tous défilent ainsi. Plus d’un manque tomber
A ce moment critique où l’abbé psalmodie
Son Benedicat vos… Ô gaîté ! comédie !
Car les bêtes ont peur du goupillon qui luit
Et que brandit vers eux le prêtre, et, devant lui,
Mulet, âne ou cheval rue et braille et recule,
Parfois même. Si c’est parfois trop ridicule,
Seigneur, tonnez sur ceux qui savent ce qu’ils font !
Voici ce que j’ai vu pourtant de plus bouffon :
Le curé s’en allait content, lorsqu’on lui crie :
« Encore un, attendez ! » L’abbé, comme on l’en prie,
Attend. Chacun peut voir sur la route, là-bas,
Dans la poussière un âne arrivant à grands pas,
Monté par un beau gars long comme on n’en voit guère,
Dont les pieds, s’il voulait, pourraient toucher à terre.
C’est un âne en retard qui veut être béni.
Une minute encore et tout était fini.
Mais, voyant qu’on l’attend, l’homme crie et tempête,
Jure par tous les saints et talonne sa bête
Qui court, s’arrête net, repart, rue et bondit.
Le village en gaîté rit et le curé dit
Qu’il a très-faim, qu’il va s’en aller, mais il reste,
Car chaque fois qu’il veut partir, chacun proteste.
Enfin le petit âne arrive chamarré,
Enrubanné, fleuri, beau, devant le curé.
« Attendez ! » a crié le drôle qui le monte.
Et, pressant du genou l’âne rétif qu’il dompte,
Touchant le sol du pied quand il penche, voici
Qu’il dit à son curé : « Bénissez-nous aussi. »
Le curé fort pressé veut brusquer la besogne,
Et, d’un geste trop vif s’effarant, sans vergogne,
L’âne braille à tue-tête et rue, et chacun rit.
Le curé rit lui-même, et l’âne plein d’esprit
Aggrave le comique avec d’autres gambades,
Si bien que, secoué par ses belles ruades,
Son cavalier meurtri s’étale tout du long.
Le curé d’une main lève son goupillon,
Mais de l’autre il se tient les côtes. La musique
S’en mêle. Un galoubet joue un air ironique ;
Un tambourin prétend que ce n’est pas le lieu
De rire et que ceci fâchera le bon Dieu.
A deux mains le curé tient son ventre qui tremble ;
Vicaire, enfants de chœur, tout le village ensemble
S’esclaffe, et la gaîté des gens passe aux mulets.
Ô bons paroissiens qu’eût bénis Rabelais !