Les cyprès
Vous m’êtes chers, cyprès du Nord, cyprès funèbres,
Malgré votre feuillage habité des ténèbres,
Car vous me rappelez d’autres cyprès joyeux,
Mes cyprès odorants dont la forme est la même,
Vos frères du Midi, tout l’horizon que j’aime,
Où vous seriez plus verts dans le bleu pur des cieux.
A vous voir je revois nettement comme en songe
Un grand chemin poudreux qui devant moi s’allonge,
Bordé de grenadiers qui réjouissent l’œil
Ou d’arbousiers touffus tout rougissants de baies,
Et je devine au loin des portails dans les haies
A deux cyprès debout aux deux côtés du seuil.
Et puis de toutes parts, ô campagne ! ô nature !
Que de jardins ayant des cyprès pour clôture,
Tout pleins de cris d’enfants par les jeux échauffés ;
Et que de fois j’ai vu, dans les murs de feuillage,
Paraître tout à coup le curieux visage
Des petits vagabonds rouges et décoiffés !
L’ombre de nos cyprès est épaisse et charmante ;
Ils connaissent le bruit des baisers de l’amante,
Ils connaissent le rire et les chansons d’amour ;
Le gai pinson, autour de son nid, y voltige ;
La cigale se pose au fin bout de leur tige,
Par les doux soirs d’été, pour voir mourir le jour.
Ils cachent de vieux bancs où vont s’asseoir les couples.
Ils sont fermes et droits avec des cimes souples,
Et leur fierté fut chère à Virgile rêvant ;
Théocrite avant lui les citait pour leur grâce,
Et tandis qu’il chantait : « Cueillons le jour ! » Horace
Par leur faîte onduleux jugeait l’effort du vent.
Comme un Oriental j’aime ces sveltes arbres,
Oui, même ceux qu’on voit debout entre des marbres,
Toujours jeunes et verts comme sont les lauriers,
Et je crois que nos morts pourtant libres d’envie
Doivent encore rêver des plaisirs de la vie,
Sous l’ombrage riant des cyprès familiers.