Nuits d’été
La nuit vient d’effacer les formes sur la terre ;
Mon cœur, plein de cette ombre où flotte le mystère,
Soupire, tout chargé de tristesse et d’espoir ;
D’où vient ce triste espoir, nuits d’été, qu’en silence
Sous le ciel constellé le vent du sud balance,
Et que le jour mourant fait naître dans le soir ?
Ah ! peut-être ce trouble épars dans la nuit douce
Est-il suave au monde et pour moi seul cruel ;
Car je connais comment une femme repousse,
Et mon amour déçu peut m’attrister le ciel.
J’ai voulu respirer, et m’emplir la poitrine
Du frais apaisement de la brise marine ;
Alors, j’ai dans la nuit tendu mes bras ouverts ;
Vous qui faites s’ouvrir mes bras, vents, mer, espace,
Que ne m’ouvrez-vous ceux de la vierge qui passe,
Et pourquoi suis-je seul, parmi les sentiers verts ?
Ô souffles, qui poussez vers nous de lentes voiles,
Quel baiser fait frémir leur sillage lacté ?
Vaste azur frissonnant et tout pâle d’étoiles,
Pourquoi cette pâleur des molles nuits d’été ?
Aux souffles de l’été, je sens mieux ma jeunesse ;
Mais d’où m’apportent-ils le soupir qui m’oppresse,
L’amour dont je pâlis dans l’ombre, et dont je meurs ?
Et de quel bois de pins ardents, de lauriers-roses,
Et de grands aloès dont les fleurs sont écloses,
Apportent-ils en moi les lointaines rumeurs ?
J’ai pris ce charme errant pour un divin breuvage,
Et je me suis senti défaillir et pâmer ;
Mais dans ce vent, chéri des palmiers du rivage,
Je n’ai pas bu l’amour, j’ai bu la soif d’aimer.
C’est que le vent d’été berce dans la nuit brève
Les parfums alanguis des bois et de la grève ;
Il porte la semence à l’arbre maternel ;
Il prend les mots d’amour murmurés par les femmes,
Le bruit des longs baisers et les caresses d’âmes,
Et l’on respire en lui l’amour universel.
Heureux alors l’amant qui sent, près de l’amante,
Frémir l’âme du monde en lui baisant les yeux !
L’amour universel n’a rien qui le tourmente :
Il possède vraiment tout l’infini des cieux.