Les Ruines

Mais, parmi tant d’objets si grands, si renommés, Qu’en ce climat chéri l’un et l’autre ont semés, Il en est dont l’aspect me frappe davanrage. Ce mélange surtout, cet
informe assemblage De palais ruinés, de temples dépéris. Fixe, étonne sans cesse, et confond mes esprits : Fragiles monuments, magnifiques fantômes, Nobles fruits du
génie et de l’orgueil des hommes, Qui, partout dispersés, vains restes de splendeur, Attestent leur néant, bien plus que leur grandeur.

Oui, chaque jour ici, ce spectacle m’arrête.

Je ne sais quel attrait, quelle pente secrète.

Aux chefs-d’œuvre nouveaux, sur mes pas étalés,

Me force à préférer ces restes mutilés.

Je les cherche partout, partout je les rencontre.

Là, sur les bords du Tibre, à mes regards se montre

Le pompeux Colisée, aujourd’hui si changé,

Et plus que par les ans, par le fer outragé.

Ici le Panthéon, dans sa beauté suprême,

Ne m’offre toutefois qu’une ombre de lui-même.

Du jeune Marcellus le théâtre admiré

Semble vouloir cacher son front défiguré.

Le Temple de la paix n’est reconnu qu’à peine.

De tel autre effacé la place est incertaine.

Ces thermes si vantés, par le luxe embellis,

Languissent maintenant sous la mousse avilis;

Et ces arcs somptueux, qu’érigea la victoire,

Dépouillent par degrés les marques de leur gloire.

Rome, Rome n’est plus la ville des Césars.

Ce colosse élevé par la guerre et les arts,

Et déttuit à son tour par le temps et la guerre,

De ses membres flétris couvre et charge la terre.

Tout y retrace d’elle un triste souvenir.

Tout est débris enfin, ou va le devenir.

Eh ! pourquoi des humains les fragiles ouvrages

Seraient-ils respectés par le torrent des âges,

Quand ceux de la nature ont le même destin.

Et dans son cours fatal sont entraînés enfin ?

Tout change autour de nous, tout périt, tout s’altère

L’océan furieux usurpe sur la terre,

Mine ses propres bords, en forme de nouveaux,

Que d’autres mers un jour couvriront de leurs eaux.

Les vallons sont comblés, et les monts s’aplanissent ;

Sous leur sol ébranlé des plages s’engloutissent.

Que dis-je ? Dans les cieux, le temps agit aussi.

Là, de plus d’un soleil l’éclat s’est obscurci.

Là, nos yeux ont cru voir, aidés en leur faiblesse.

Des mondes ébauchés, des mondes en vieillesse.

Tel fut, tel est encor, tel sera l’univers.

Abîme fécondé, source d’êtres divers,

Tout mobile et constant, qu’une main immortelle

Meut, façonne, entretient, détruit et renouvelle,

Qui, sans se démentir, roule, poursuit son cours,

Renaît en vieillissant, et se survit toujours.

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Par Jean-Baptiste Coeuilhe

Jean-Baptiste Cœuilhe, né en 1731 à Périgueux et mort en 1801, est un bibliothécaire et poète français.

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