Complainte sur la mort du feu Roy

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par Jean Bertaut
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… Helas, il me souvient que quand son pasle corps
Fut mis à reposer en la couche des morts
J’entray dedans la chambre où le plomb qui l’enserre
Gisoit sans nulle pompe estendu contre terre,
Pendant que l’artizan à cet oeuvre empesché,
De maint ais resonnant l’un à l’autre attaché,
Formoit la triste chambre où la fatale marque
Des fourriers de la mort logeoit ce grand monarque.
Et lors ramentevant que celuy dont les os
Dormoient entre les vers dedans ce plomb enclos,
Naguere estoit au monde et mon Prince et mon maistre,
Celuy d’où tout mon heur se promettoit de naistre,
Et de qui le trespas me venoit de ravir
L’espoir de tout le bien qu’à le suivre et servir
J’avoy peu meriter d’un coeur si debonnaire,
D’un tel coup de douleur dedans l’aine frappé
Par le triste penser qui m’avoit occupé,
Que presque evanoüy je tombay sur la place,
En paleur une pierre, en froideur de la glace,
Et tel qu’aux yeux humains se feroit admirer
Un marbre qu’on oirroit gemir et souspirer.

Dieu ! qu’il roula de pleurs sur mon visage blesme
Quand apres ce transport je revins à moymesme,
Et quand par les ruisseaux que mon oeil espandit
Ce glaçon de tristesse en larmes se fondit !
Long temps je ressemblay ceste Nymphe affligée
Qui fut par trop pleurer en fontaine changée :
Puis commençant l’humeur de manquer à mon oeil,
Tourné vers l’artizan ouvrier de ce cercueil :
Ô toy (lui dyje alors d’une voix triste et basse)
Qui de la main celeste as receu ceste grace
D’enfermer au cercueil les os d’un si grand Roy,
Pour Dieu, ne vueille point envier à ma foy
L’honneur de t’assister en ce piteux office
Que luy rend maintenant ton fidelle service.
Permets moy de tenir le sapin que tu couds,
Que j’en touche les ais, que j’en touche les clouds :
Que ma tremblante main un à un te les donne,
Et que de ce devoir en pleurant je couronne
Les services passez qu’à luy seul j’ay rendus,
Et qu’helas par sa mort pour jamais j’ay perdus.
Je l’ay servy treize ans, dont mon attente morte,
Apres tant d’esperance, autre fruit ne rapporte
Que ces cuisans souspirs, que cet honneur amer
De pouvoir maintenant au cercueil l’enfermer :
Et si, j’estimeray la fatale inclemence
Ne m’avoir point du tout laissé sans recompense
M’accordant ceste grace, ains beniray mon sort
De l’avoir peu servir encor apres sa mort…

Jean Bertaut

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