Elégie (1)
Comme alors que le jour c’est caché sous la terre,
Le soucy plus ouvert se referme et reserre,
Dedaigneux de laisser regarder à son oeil
D’autres flammes au Ciel que celles du Soleil :
Ainsi quand les malheurs qui traversent ma vie
M’ont de vostre bel oeil la presence ravie,
Le mien se fermeroit, dolent de ne voir rien
Qui ne semble exprimer la perte de son bien :
Et dédaigneux de suivre, en l’ombre où je chemine,
Une lumiere humaine apres une divine,
Fuiroit en quelque lieu de clarté dépourveu,
Cherchant de ne rien voir, et de n’estre point veu;
Si le poignant regret que me cause ma perte,
Ne tenoit ma paupiere incessamment ouverte
Aux pleurs dont le ruisseau coule sans s’estancher
De mon coeur misérable, ainsi que d’un rocher.
De vous dépeindre au vif les peines que j’endure
Errant en une nuit si tristement obscure,
L’ingenieux pinceau des plus rares esprits
L’essay’roit vainement s’il l’avoit entrepris.
Vous, imaginezles, qui pouvez de vous mesme,
Par vos perfections, par mon amour extrême,
Par l’aise que je sens voyant vostre beauté,
Juger quel mal je souffre en estant absenté.
Le mal n’est gueres grand qui se peut bien dépeindre :
Et je sçay mieux souffrir que je ne sçay me plaindre;
Ayant l’ame plus ferme à porter les malheurs,
Que la langue eloquente à conter mes douleurs.
Le crayon tous les jours monstre en vostre peinture,
Que tant plus sont parfaits les traits dont la nature
A rendu pour sa gloire un visage animé,
Tant moins facilement peutil estre exprimé.
Une parfaite amour en effet est semblable :
Tant plus ardante elle est, moins elle est exprimable :
Et le mal que l’absence aux amants fait gouster,
S’il se fait bien sentir, se voit mal raconter.
Helas ! si ceste ardeur qui m’a mis tout en flame
Embrazoit seulement la moitié de vostre ame,
Je n’aurois nul besoin de ceste plainte icy
Pour faire à vostre esprit juger qu’il est ainsi.
Vous mesme en mon absence, atteinte de tristesse,
Vous plaindriez le tourment dont la vostre me blesse :
Connoistriez quel mal c’est qu’estre loin de son bien ;
Et sentant vos ennuis, vous jugeriez du mien.
Mais le Ciel vostre autheur, ô ma douce inhumaine,
Ne vous forma jamais pour souffrir tant de peine.
Sa main vous a voulu ses graces departir
Pour donner du tourment non pour en ressentir.
Aussi suffiroitil au desir qui m’allume,
Si lors que loing de vous le regret me consume,
Pour rendre aucunement mes ennuis appaisez,
Vous plaigniez pour le moins le mal que vous causez.
Je ne me plaindrais point si vous daigniez me plaindre :
Car malgré les malheurs qu’en absence on doit craindre,
Heureux est le destin du serviteur absent
De qui l’on sent l’absence autant qu’il la ressent.
Mais las! pourquoy fautil que les arbres sauvages
Qui vestent les costaux ou bordent les rivages,
Qui n’ont veine ny sang qu’Amour puisse allumer,
Observent mieux que nous les loix de bien aimer ?
On dit qu’en Idumée, és confins de Syrie,
Où bien souvent la palme au palmier se marie,
Il semble, à regarder ces arbres bienheureux,
Qu’ils vivent animez d’un esprit amoureux.
Car le masle courbé vers sa chere femelle
Monstre de ressentir le bien d’estre aupres d’elle :
Elle fait le semblable, et pour s’entrembrasser
On les voit leurs rameaux l’un vers l’autre avancer.
De ces embrassemens leurs branches reverdissent,
Le Ciel y prend plaisir : les astres les bénissent :
Et l’haleine des vents soupirants à l’entour
Loüe en son doux murmure une si chaste amour.
Que si l’impieté de quelque main barbare
Par le tranchant du fer ce beau couple separe,
Ou transplante autrepart leurs tiges desolez,
Les rendant pour jamais l’un de l’autre exilez :
Jaunissants de l’ennuy que chacun d’eux endure
Ils font mourir le teint de leur belle verdure,
Ont en haine la vie, et pour leur aliment
N’attirent plus l’humeur du terrestre element.
Si vous m’aymiez, helas ! autant que je vous aime,
Quand nous serions absens nous en ferions de mesme :
Et chacun de nous deux regrettant sa moictié,
Nous serions surnommez les palmes d’amitié.
Nom qui nous conviendrait si de mesme constance,
Si de mesme desir nous faisions résistance
A tout ce qui pourroit une amour étoufer,
Et par nostre victoire en sçavions triompher.
Mais autant que ma flamme est grande et violente,
Autant, pour mon tourment, la vostre est foible et lente,
Et tient de la froideur d’une ame où fait sejour
Une simple amitié, non une ardante amour.
La mienne est comparable au feu d’une fournaise
Qui tourne tous les jours une forest en braise :
Et la vostre à celuy qui dessus les autels
Fume d’un peu d’encens au pied des immortels.
Et c’est ce qui me tue, et qui fait qu’à toute heure
Mon coeur impatient gemit, soupire, pleure,
Et fait priere aux Cieux qu’ils m’accordent le bien
D’augmenter vostre amour, ou d’aimoindrir le mien.