Du thésauriseur et du singe

Jean de La Fontaine
par Jean de La Fontaine
0 vues
0.0

À Monseigneur Le Duc de Bourgogne
Prince, l’unique objet du soin des Immortels,
Souffrez que mon encens parfume vos Autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma Muse ;
Les ans et les travaux me serviront d’excuse :
Mon esprit diminue, au lieu qu’à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant :
Il ne va pas ; il court, il semble avoir des ailes.
Le héros dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de Mars brûle d’en faire autant :
Il ne tient pas à lui que, forçant la victoire,
Il ne marche à pas de géant
Dans la carrière de la gloire.
Un Homme accumulait. On sait que cette erreur
Va souvent jusqu’à la fureur.
Celui-ci ne songeait que ducats et pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles.
Pour sûreté de son trésor,
Notre avare habitait un lieu dont Amphitrite
Défendait aux voleurs de toutes parts l’abord.
Là, d’une volupté selon moi fort petite,
Et selon lui fort grande, il entassait toujours :
Il passait les nuits et les jours
À compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche ;
Car il trouvait toujours du mécompte à son fait.
Un gros Singe plus sage, à mon sens, que son maître,
Jetait quelque doublon toujours par la fenêtre
Et rendait le compte imparfait :
La chambre, bien cadenassée,
Permettait de laisser l’argent sur le comptoir.
Un beau jour dom Bertrand se mit dans la pensée
D’en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet avare,
Je ne sais bonnement auquel donner le prix :
Dom Bertrand gagnerait près de certains esprits ;
Les raisons en seraient trop longues à déduire.
Un jour donc l’animal, qui ne songeait qu’à nuire,
Détachait du monceau, tantôt quelque doublon,
Un jacobus, un ducaton ;
Et puis quelque noble à la rose
Éprouvait son adresse et sa force à jeter
Ces morceaux de métal, qui se font souhaiter
Par les humains sur toute chose.
S’il n’avait entendu son compteur à la fin
Mettre la clef dans la serrure,
Les ducats auraient tous pris le même chemin,
Et couru la même aventure ;
Il les aurait fait tous voler jusqu’au dernier
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint financier
Qui n’en fait pas meilleur usage !

Jean de La Fontaine

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Jean de La Fontaine

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Dans notre jardin de rêves, chaque commentaire est une fleur. Cultivez votre contribution.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.