Le villageois et le serpent
Ésope conte qu’un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’hiver se promenant
À l’entour de son héritage,
Aperçut un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le Villageois le prend, l’emporte en sa demeure,
Et, sans considérer quel sera le loyer
D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l’âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.
« Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras. » À ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête ;
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue, et la tête.
L’insecte, sautillant, cherche à se réunir ;
Mais il ne put y parvenir.
Il est bon d’être charitable :
Mais envers qui ? c’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.