L’écrevisse et sa fille
Les Sages quelquefois, ainsi que l’Écrevisse,
Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C’est l’art des matelots : c’est aussi l’artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand :
Je pourrais l’appliquer à certain conquérant
Qui tout seul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu’il n’entreprend pas, et ce qu’il entreprend,
N’est d’abord qu’un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l’on a les yeux sur ce qu’il veut cacher,
Ce sont arrêts du Sort qu’on ne peut empêcher :
Le torrent à la fin devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
Louis et le Destin me semblent de concert
Entraîner l’Univers. Venons à notre fable.
Mère Écrevisse un jour à sa fille disait :
« Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux-tu marcher droit ?
– Et comme vous allez vous-même ! dit la fille :
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j’aille droit quand on y va tortu ? »
Elle avait raison : la vertu
De tout exemple domestique
Est universelle, et s’applique
En bien, en mal, en tout ; fait des sages, des sots ;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
À son but, j’y reviens ; la méthode en est bonne,
Surtout au métier de Bellone :
Mais il faut le faire à propos.