L’enfouisseur et son compère
Un pince-maille avait tant amassé
Qu’il ne savait où loger sa finance.
L’avarice, compagne et soeur de l’ignorance,
Le rendait fort embarrassé
Dans le choix d’un dépositaire ;
Car il en voulait un, et voici sa raison :
« L’objet tente ; il faudra que ce monceau s’altère,
Si je le laisse à la maison :
Moi-même de mon bien je serai le larron.
– Le larron ? Quoi ? jouir, c’est se voler soi-même !
Mon ami, j’ai pitié de ton erreur extrême ;
Apprends de moi cette leçon :
Le bien n’est bien qu’en tant que l’on s’en peut défaire ;
Sans cela c’est un mal. Veux-tu le réserver
Pour un âge et des temps qui n’en ont plus que faire ?
La peine d’acquérir, le soin de conserver,
Ôtent le prix à l’or, qu’on croit si nécessaire. »
Pour se décharger d’un tel soin,
Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin.
Il aima mieux la terre ; et, prenant son compère,
Celui-ci l’aide. Ils vont enfouir le trésor.
Au bout de quelque temps l’homme va voir son or ;
Il ne retrouva que le gîte.
Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite
Lui dire : « Apprêtez-vous ; car il me reste encore
Quelques deniers : je veux les joindre à l’autre masse. »
Le compère aussitôt va remettre en sa place
L’argent volé, prétendant bien
Tout reprendre à la fois sans qu’il y manquât rien.
Mais, pour ce coup, l’autre fut sage :
Il retint tout chez lui, résolu de jouir,
Plus n’entasser, plus n’enfouir ;
Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage,
Pensa tomber de sa hauteur.
Il n’est pas malaisé de tromper un trompeur.
Un commentaire
Pour l’écriture de ses fables Jean de La Fontaine s’inspire principalement de la culture des fables greco-latine : Ésope, Phèdre, Tite-Live, Horace, Hippocrate, de l’écrivain italien Abstémius de la fin du XV em siècle, mais aussi de la culture indienne : Pañchatantra. Jean de La Fontaine a effectué un gros travail de mise en vers des textes. On trouve dans ses fables une place prépondérante pour les animaux et l’anthropomorphisme.