Jardin d’hiver
À Alphonse Daudet.
Ma vie, où des vols de colombes
Neigeaient autrefois dans l’azur,
Est un jardin rempli de tombes
Avec des hiboux sur son mur.
Les mornes oiseaux d’heure en heure
S’éveillent au fond des cyprès,
Et chacun d’eux ulule et pleure
Sur mes vaeux devenus regrets.
Leur cri lugubre et monotone
Chante les précoces départs
De mes rêves, au vent d’automne
Qui tombent, tombent tous épars.
Leurs débris jonchent les allées
Et, sous le vieux porche jauni,
L’ennui des plaines désolées
Monte et s’enfonce à l’infini.
Sous le ciel rouge et la bise aigre
Serré dans un mince habit noir,
Un petit vieux, propret et maigre,
Y vient parfois rôder le soir.
Baisant de ses lèvres dévotes
Une grêle flûte en tuya,
Il fait succéder aux gavottes
Des vieux refrains d’alléluia.
Au pied du mur qui se lézarde
Le vieux chantonne, et les hiboux,
Hérissant leur plume hagarde,
Ferment lentement leurs yeux roux.
Sous les grands traits d’ocre et d’orange
Des crépuscules jaunissants
Le vieux joue, et sa flûte étrange
Endort les hiboux gémissants.
Le vieux danse, et des violettes
Percent sous son pied leste et sec,
Et sous les vieux arbres squelettes
Répondent des sons de rebec ;
Car ce vieillard est ma jeunesse
Et les chers amours d’autrefois,
Attendant que mon coeur renaisse,
Chantent dans son flûtet de bois.
La forêt bleue