Lettre à claude delmas

Jean-Philippe Salabreuil
par Jean-Philippe Salabreuil
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Cher vieux copain cette mémoire

N’est après tout pas si profonde

Et quelque part au creux du monde

A l’heure où le soleil vient boire

Un peu de sang dans mes deux mains

Je reste là c’est le matin

Je regarde cette lumière

Et je songe que jamais

Nous n’en aurons fini de nos paroles amères

Au seuil du joli mois de mai

Avec le vin avec la bière

A Saint-Germain-des-Prés ou bien ailleurs

Du côté de Boulogne ou bien d’Auteuil

Entre Créteil et Levallois

Puisqu’il est devenu si difficile

De mourir sur cette croix

Que toujours font les chemins

Verts ou gris de la campagne ou de la ville

Comme cet autre qui peut-être nous aimait bien

Tu sais le grand barbu le nommé Jésus-Christ ?

Cette mémoire est comme un pays

De lilas et d’aubépines sur la craie

Cette mémoire est comme un bol de lait

Sur un toit bleu tout près du ciel

Posé là pour les chats de gouttière

Et c’est après tout la faute du printemps

Si je ne sais plus le nom des fleurs de mon jardin

Mais de ceci je me souviens parfois dans tes poèmes

S’ouvre un grand cimetière un peu triste et que j’aime

A cause de ces croix vivantes et de ces gens

Qui viennent plus morts que les morts

Et qui vraiment se croient vivants

Je regarde encore aujourd’hui

Et j’ai vu de vieilles paysannes avec de l’eau des fleurs

Dans une cruche qui livides montaient

Arroser silencieuses fleurir le très cher cœur

Du vieux mari qui s’étrangla d’un nœud de joncs acides

Et qui n’a nul besoin de leurs grands doigts branchus

Pour s’épanouir au ciel comme un pêcher têtu

Mais tout n’est peut-être pas aussi triste

Ni dans tes poèmes ni dans mon pays

On oublie Salomé on oublie Jean-Baptiste

A voir ici et là sans queue ni tête les mauvis

Dormir encore au fond des saules après l’amour

Et toujours cette mémoire et toujours

Mes allées et venues dans cette mémoire

Dont je t’ai dit qu’elle était comme

Un verger d’avril aux pommiers sans pommes

Mais chargés de tant de neige illusoire

Alors je vais je viens celle que j’aime est avec moi

Le coin de sa bouche est sur le coin de ma bouche

Il y a deux roses qui s’aiment au-dessus de la source

Il y a dans le vent des nuages sans poids

Je pense à ce bonheur à ce malheur de l’absence

Et du retour confondus quand la nuit n’a plus de sens

Et que seront bientôt franchies les étoiles qui s’amassent

Entre nos deux forêts de songe Claude Delmas.

Jean-Philippe Salabreuil

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