À Voix Basse pour Follain

Jean Tardieu
par Jean Tardieu
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Le signal le plus précieux
l’instant qui ne finira plus
se trouve si l’on partage
entre l’ombre et la lumière tout objet au repos
mais bien peu connaissent la clé
et le peintre n’est visible que dans le miroir
comme s’il s’était glissé
au cœur des choses en s’effaçant.
Ainsi tu te tiens devant le chevalet
debout vu de dos
mais pour toujours ressemblant
près des fenêtres où

Vermeer
reçoit l’oblique annonciation du jour
révélée aux parquets luisants aux gobelets
à la mappemonde à la perspective quadrillée
et au luth qui ajoute au silence
le prolongement des sons retenus.
Car tout se tait il faut prêter l’oreille longtemps pour saisir quelques mots sans rumeur choisis toujours un peu plus bas que le vain bruit du sens
dans la chambre provinciale
où les tiroirs ont l’odeur de la noix muscade.
Un profil de femme entrevu
un dolman posé sur une chaise
te somment de nous apprendre
que le monde est immobile et que sa fuite
est illusoire : tout perdure,
les dossiers sont sanglés à mort,
le rire étranglé le sanglot jailli
se figent parce que l’heure prévue
arrive de plus loin que nous c’est le secret.
Celui qui sait tout cela et mille autres choses
(il s’intéresse aux chasubles aux uniformes
aux chassepots de la

Commune
aux coutumes puissantes
aux rites des repas aux grands papiers filigranes)
— celui qui ne veut rien laisser à l’oubli
— celui qui voit passer sans que les roues résonnent sur l’asphalte
la charrette fantôme du chiffonnier entrant tout droit avec sa poussière sous l’arc en ruine des archives du monde,
— celui-là doit braver la mort
en s’arc-boutant (c’est pourquoi tu t’es si souvent brisé
l’épaule) contre la cloison mince qui nous sépare de

Tout.

L’aujourd’hui sans cesse moribond cette porte qui
grince

I air du dehors ébranle nos logis fragiles quelque part une bête (tu le disais) boit dans une flaque et une étoile s’attarde, indocile au calcul.

Tout devrait être là en effet tout est là mais il faut attendre encore un peu
ce qui viendra parfaire
l’espace où tout se résout
où l’entassement se donne au

Vide sauveur
où nous irons te rejoindre,

Jean

Follain.

Jean Tardieu

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