La calanque
Ils avaient tout un jour, assidus à leur tâche,
Travaillé du marteau, du rabot, de la hache :
Charpentiers d’aventure, ils rajustaient le flanc
De leur chaloupe usée, au pont mince et branlant,
Qui hors du flot gisait. — Hélas ! La chère barque
Des injures du temps montrait plus d’une marque.
Eux sur chaque blessure étendaient le goudron ;
Ils renforçaient l’endroit où porte l’aviron ;
Ils clouaient une planche à côté de la poupe ;
Dans la moindre fissure ils inséraient l’étoupe,
Armant avec effort contre les chocs nouveaux
Ce vieux bois, fatigué par tant de durs travaux.
L’un des trois compagnons, vieillard solide et svelte,
Avait l’aspect hautain d’un ancien patron celte ;
L’autre, son fils peut-être, en la vigueur des ans,
Avait l’air d’un lutteur, fier de ses bras luisants.
Le troisième, enfant blond, qu’à l’œuvre on associe,
Offrait les clous, tendait la varlope ou la scie,
Heureux de s’employer en ce commun labeur.
Je les vis tout le jour s’agiter en sueur.
Vers midi seulement, ouvriers sans reproche,
Ils prirent à la hâte un repas sur la roche,
Dîner frugal, de noix et de fromage sec.
La vague cependant, sur l’algue et le varech,
Bondissait, et, du roc venant laver la marge,
Leur chantait sa chanson mélancolique et large.
C’était en un vallon dont le sol raviné
S’ombrage d’un vieux pin sous la bise incliné ;
Du monde primitif inculte paysage,
Ornière entre deux monts creusée, âpre et sauvage,
Qui semble un double mur de pierres sans ciment,
Et sur la vaste mer débouche brusquement.
Comme le jour tombait, l’œuvre achevée à peine,
On poussa vers les eaux la glissante carène.
Chacun d’eux sur les bancs s’empressa de s’asseoir.
Le foc, rouge haillon, s’ouvrit au vent du soir ;
Ils partirent sans bruit sur la mer sombre et haute :
Et moi, je les voyais s’éloigner de la côte,
Et je songeais à toi, mortel qui, le premier,
Jetas aux flots le tronc d’un chêne ou d’un palmier,
Et sur cet appui frêle, en ta sainte démence,
Allas seul affronter l’horreur de l’onde immense !