Le feu d’épaves

Joseph Autran
par Joseph Autran
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La maison du pêcheur, qui près du flot s’élève,
Entre ses murs étroits nous avait accueillis.
C’était l’heure du soir, l’heure propice au rêve.
La mer, sous une brise, arrivait à la grève
En doux et larges plis.

A travers la croisée ouverte sur la plage,
L’œil distinguait non loin, — silencieux tableau,
Quelques arbres épars au rougissant feuillage,
L’ancien phare, la tour, et les murs d’un village
Qui s’avance dans l’eau.

C’était aux jours d’octobre, et quoiqu’à la fenêtre
Le vent qui se jouait n’annonçât point l’hiver,
Nous avions au foyer, sans y songer peut-être,
Allumé quelque bois de vieux chêne ou de hêtre…
Épaves de la mer.

Et, l’œil sur ces tisons, nous causions à voix basse
De l’Océan voisin, du flux et du reflux,
Des marins en péril que l’ouragan pourchasse,
Du vaisseau démâté qu’on hèle dans l’espace
Et qui ne répond plus.

Poursuivant au hasard le fil des rêveries,
Nous parlions, à leur tour, des naufrages du sort,
Des croyances en deuil par le siècle meurtries,
Et des amours éteints, — et des âmes flétries,
Dont le doute est la mort.

Devant nous, du passé, dans leur fraîcheur première,
Les pâles souvenirs se dressaient à la fois,
Les blanches visions de grâce printanière…
Et l’occident, là-bas, endormait sa lumière,
Et nous baissions la voix.

Sous les obscurs lambris teints d’une lueur sombre,
La mer nous envoyant son rythme lent et doux,
Chacun de nous semblait aux yeux de l’autre une ombre ;
Et, toujours plus songeurs, nous repassions le nombre
Des jours vécus par nous.

« Les choses de la vie au néant emportées
Sont mornes à revoir aux pâleurs de la nuit.
Laissons-les, vous disais-je, où Dieu les a jetées.
De la mémoire, à deux, les pages feuilletées
Rendent un triste bruit ! »

Les tisons, à nos pieds, fumaient à peine encore ;
Le jour dans un nuage expirait au couchant.
Alors, — ombre du soir que son reflet colore, —
Une femme passa, qui, de sa voix sonore,
Chantait un divin chant.

A la marge des eaux, forme entrevue à peine,
Dans le rayon qui meurt elle était belle à voir.
Ce qu’exhalait au vent sa voix pure et sereine,
C’était le chant joyeux de la vie encore pleine
De croyance et d’espoir.

Et dans l’âtre, soudain, des épaves en cendre
Un dernier feu jaillit comme une langue d’or.
Et tous deux, en nous-même heureux de redescendre,
Nous sentîmes aussi que nos cœurs pouvaient rendre
Une étincelle encore !

Aimé Césaire

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