Le Gombo

Joseph Autran
par Joseph Autran
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Hôtesse au doux accueil, reine d’une cabane !
Merci d’avoir voulu me montrer ce beau lieu,
Désert où vous vivez, loin d’un monde profane,
Avec la paix du cœur et les conseils de Dieu.

Comme vous, je connais l’étrange inquiétude
Qui loin de nos cités vous emporte souvent,
Qui vous a fait chercher, dans un séjour si rude
Le bonheur d’être seule et de vivre en rêvant.

Oui, je sais qu’il est doux d’errer sur un rivage,
De suivre, le matin, la lisière des bois,
Et d’écouter longtemps la musique sauvage
Des vagues et des pins qui chantent à la fois ;

De contempler, du bord, le calme et la tourmente,
Et, promeneur perdu dont nul ne se souvient,
De voir, sur une mer orageuse ou dormante,
La voile du vaisseau qui part ou qui revient ;

D’habiter sur la grève une étroite chaumière,
D’un vieux pêcheur toscan mince et tremblant réduit,
D’y méditer, le soir, à la seule lumière
Qu’à travers la fenêtre une étoile introduit ;

De n’avoir pour amis que les divins poètes
Qui vous chantent tout bas leurs vers mélodieux,
Et pour enivrements, et pour uniques fêtes,
Que les songes dorés qui descendent des cieux !

Comme vous, j’aime à voir la sablonneuse grève
Où Byron promena ses orageux loisirs,
Où, la nuit, à cheval, il courait vers le rêve
Que poursuivaient partout ses vagabonds désirs.

Sur ce même rivage, aux confins du bois sombre,
Quand vous errez, le soir, l’œil au ciel étoilé,
Avez-vous quelquefois rencontré sa grande ombre,
Et, comme frère et sœur, vous êtes-vous parlé ?

Que vous a dit alors le pâle et fier artiste ?…
En terrestres ennuis cœur entre tous expert,
Vous a-t-il expliqué cet instinct vague et triste
Qui nous fait demander un asile au désert ?

Le désert est ici, profond, paisible, austère ;
Le désert ignoré, sans guide et sans chemin,
Tel que l’on put le voir, au printemps de la terre,
Dans le vaste Orient, berceau du genre humain.

Voilà bien, sous nos yeux, la plaine asiatique ;
Ce mont que j’aperçois fait songer au Liban.
Allons-nous rencontrer Rachel au puits antique ?
Dînerons-nous ce soir au foyer de Laban ?

A qui sont ces chameaux et ces maigres chamelles
Qui, nous voyant passer, vont brouter à l’écart ?
A qui sont ces brebis aux pendantes mamelles ?…
Chaque fils de Jacob en a-t-il une part ?

Ces vieillards, ces enfants à l’œil mélancolique,
A travers la forêt dispersant leurs troupeaux,
Sont bien les chevriers de l’églogue biblique,
Les pâtres d’Israël, bruns et vêtus de peaux.

Nous vivons, ce matin, aux primitives ères ;
Quand le jeune soleil brillait au firmament ;
Que, par lui dirigés, ceux qui furent nos pères
Dans le monde inconnu s’avançaient lentement ;

Quand, au creux des vallons, les anges de la nue,
Des hommes éblouis indulgents visiteurs,
Venaient, comme en ce lieu vous-même êtes venue,
Sous leurs toits de roseaux saluer les pasteurs.

Voilà bien le désert tel qu’on le vit encore
Quand les premiers chrétiens, insensés de la croix,
Cherchaient, pour tempérer la soif qui nous dévore,
La paix de l’âme en Dieu dans le calme des bois.

C’était, aux bords du Nil, c’était un lieu semblable
Où Zozime du ciel pressentait les douceurs,
Où vécurent jadis, dans le vallon de sable,
Marie Égyptienne et ses ferventes sœurs ;

Mais ce que n’eut jamais aucune Thébaïde,
Ni grotte, ni couvent, ni vallon clandestin,
C’est la belle recluse en toilette splendide,
C’est un anachorète en robe de satin ;

C’est une jeune ascète aux allures commodes,
Ne quittant qu’à midi son paresseux chevet,
Feuilletant la Genèse et le Journal des Modes,
Et donnant au désert des repas de Chevet !

Adieu, Madame, adieu !… Ce soir, au crépuscule,
Je vais rouler encore sur le pont du steamer :
Ermite aux yeux charmants, alors, dans la cellule
Songez au pèlerin qui s’en va sur la mer.

Avant peu mes amis, dont vous fûtes l’amie,
Sur vous, sur votre sort, viendront m’interroger
— Elle est, leur répondrai-je, en Mésopotamie,
Et vit comme la sœur de quelque roi berger !…

Joseph Autran

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