Les dernières feuilles
Les mauvais jours venus, quand de sa robe verte
Le bois a dispersé les guirlandes au vent ;
Le long des parcs en deuil, quand la terre est couverte
De feuillages criards que l’on foule en rêvant ;
Alors — triste tableau ! — la forêt orpheline
Conserve à peine encore quelques festons mouillés,
Feuilles que le vieux pâtre, assis sur la colline,
Peut compter à travers les rameaux dépouillés.
Frissonnante et ridée au vent qui la secoue,
L’une se teint d’azur, l’autre de vermillon ;
Celle-ci, pâle et brune, a des taches de boue ;
De la pourpre des rois l’autre semble un haillon.
Hélas, ainsi de nous ! Quand vient notre hiver sombre,
Lorsque le vent du sort, qui flétrit les meilleurs,
De nos illusions a décimé le nombre,
Qu’il a bien secoué nos feuillages en pleurs.
Parfois, il est encore, aux branches les plus fortes,
Quelques restes pendants, faciles à compter :
Amours presque fanés, amitiés presque mortes,
Croyances qu’un zéphir suffit pour agiter !
Ô souffles de malheur, vents de pluie et de neige,
Ne venez pas sitôt nous ravir, sans retour,
Cette tremblante foi que chaque doute assiège,
Cet idéal suprême et ce dernier amour !…
Un jour, le bel avril rajeunira le monde ;
La sève, en jets puissants, reprendra son essor ;
La forêt, qu’aujourd’hui le vent d’orage émonde,
De feuilles et de fleurs sera couverte encore.
Heureux, au flanc des monts, les ormeaux et les frênes ;
Heureux le peuplier, le saule au bord des eaux ;
Ils reverront l’éclat des aurores sereines ;
Ils tressailliront d’aise au concert des oiseaux !
Heureux le chêne ! Heureux les aulnes, les érables !
Ils reverdiront tous, de la base aux sommets…
Mais vous, cœurs dévastés, vous, ronces misérables,
Sous quel printemps nouveau renaîtrez-vous jamais ?