Prélude
Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant !
Une âme immense en nous respire,
Elle soulève notre sein.
Sous l’aquilon, sous le zéphyr,
Nous sommes la plus vaste lyre
Qui chante un hymne au trois fois Saint !
Amoncelés par les orages,
Rendus au calme, tour à tour,
Nous exhalons des cris sauvages,
Qui vont bientôt sur les rivages
S’achever en soupirs d’amour.
C’est nous qui portons sur nos cimes
Les messagers des nations,
Vaisseaux de bronze aux mâts sublimes,
Aussi légers pour nos abîmes
Que l’humble nid des alcyons.
Sur ces vaisseaux si Dieu nous lance,
Terribles nous fondons sur eux ;
Puis nous promenons en silence
La barque frêle qui balance
Un couple d’enfants amoureux !
Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant.
C’est nous qui d’une rive à l’autre
Emportons les audacieux.
Le marchand, le guerrier, l’apôtre,
N’ont qu’une route, c’est la nôtre,
Pour changer de terre et de cieux.
Nos profondeurs, Dieu les consacre
A son mystérieux travail ;
Dans nos limons pleins d’un sel âcre,
Il répand à deux mains la nacre,
L’ambre, la perle et le corail.
Pelouses, réseaux de feuillages,
Arbres géants d’hôtes remplis,
Monstres hideux, beaux coquillages,
La vie est partout sur nos plages,
La vie est partout dans nos lits.
Qui compterait dans nos entrailles
Tant de trésors, là-bas perdus !
Et d’habitants vêtus d’écaillés,
Dont si peu s’accrochent aux mailles
Des filets par l’homme tendus !
Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant.
Nous vous aimons, bois et charmilles,
Qui sur nous versez vos parfums !
Nous vous aimons, humbles familles,
Dont sur nos bords les chastes filles
Attendent leurs fiancés bruns !
Vaisseaux couverts de blanches toiles,
Reflets des villes et des monts,
Jours de printemps purs et sans voiles,
Nuits d’été riches en étoiles,
Nous vous aimons ! Nous vous aimons !
Mais nos amours sont inquiètes,
Et nous vous préférons souvent
Le ciel noir, le vol des tempêtes,
Et le chant des pâles mouettes
Que berce et qu’emporte le vent.
Nous aimons voir l’éclair dans l’ombre
Que déchirent ses javelots,
Et l’effroi du vaisseau qui sombre
En jetant à la grève sombre
Le dernier cri des matelots !
Nous sommes les vagues profondes
Où les yeux plongent vainement ;
Nous sommes les flots et les ondes
Qui déroulent autour des mondes
Leur manteau d’azur écumant !