San Salvadour

Joseph Autran
par Joseph Autran
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Les rivages à pic descendent à la mer.
Leurs sommets, rafraîchis par un zéphyr amer,
Portent tout un fouillis de grands bois ou d’arbustes ;
Lentisques, châtaigniers, pins verts, chênes augustes !
La nature a sculpté, le long du vieux granit,
Une corniche étroite où jase plus d’un nid.
Le vent d’un arbre à l’autre y berce la liane ;
L’iris y germe auprès de la valériane.
La mer brisant au bas, le son des flots chanteurs
Arrive par moments jusques à ces hauteurs.
Le vif scintillement des ondes radieuses,
En été, frappe l’œil à travers les yeuses,
Et l’on peut voir au loin, dans le cristal qui dort,
Des îles et des caps trembler les reflets d’or.

Sur la falaise abrupte un heureux pli de terre
Se creuse, — lieu propice à quelque doux mystère.
Des pampres, des lauriers y croissent ; un ruisseau,
Parmi les graviers bleus roulant son filet d’eau,
L’épanche dans la mer. — A cette mer si grande,
Humble source, qu’importe une si mince offrande ?

Par-là, rêveur oisif, comme je m’égarais,
Sous la roche qui penche, au recoin le plus frais,
J’aperçus un berger dormant d’un profond somme.
Il était à cet âge où l’enfant touche à l’homme,
Où le souffle du temps, le travail, la douleur,
Ont encore épargné la vie à peine en fleur,
Jamais pâtre plus beau dans sa jeunesse imberbe !
Svelte et souple, son corps ne pesait pas sur l’herbe.
Le vent et le soleil, les courses dans les bois,
Avaient bruni son front, doux et rude à la fois.
Sur son bras arrondi comme une anse d’amphore,
Sa tête reposait, sa tête humide encore,
Dont les tempes brillaient d’une moite lueur.
L’air, dans ses cheveux noirs emperlés de sueur,
Se jouait par instants ; sur sa bouche vermeille,
Un sourire passait, errant comme une abeille ;
Et, de quelque buisson dérobée en chemin,
Une branche glissait à demi de sa main.
Il dormait. — Près de lui, broutant les herbes fines,
Ses chèvres, aux longs poils, aux figures mutines,
Cherchaient le sel des mers, leur plus friand régal,
Allaient, venaient, grimpaient sur le roc inégal,
Une d’elles parfois égarant son caprice
Jusqu’au dernier rebord du béant précipice.

Dans l’épaisseur de l’ombre assis paisiblement,
J’admirais cette scène heureuse : à ce moment,
Jeune et belle, apparut au détour de la route
Une femme, arrivant du bourg voisin sans doute.
Lente, elle cheminait, et son charmant regard
Sur les fleurs du sentier se posait au hasard.
Les cheveux dénoués, l’épaule à demi nue,
Toute seule, où tendait ainsi cette inconnue ?
La voilà qui s’avance avec plus de lenteur ;
Elle semble hésiter… elle a vu le pasteur.
Sa joue, à son aspect, de rougeur se colore :
Approcher, s’éloigner, que faire ? Elle l’ignore ;
Elle approche pourtant, et d’un œil fasciné
Contemple ce front pur, dans l’ombre illuminé.
Un souffle, un rien l’émeut, ainsi qu’une gazelle.
Craint-elle son réveil… ou le désire-t-elle ?
L’enfant dormait toujours, tranquille en son recoin.
Enfin, — soupçonnant peu qu’elle avait un témoin,
La belle s’enhardit, et, doucement penchée,
Prit des doigts du pasteur la branche détachée.
Cela fait, je la vis, toujours du même pas,
Suivre l’étroit chemin, rouge encor, le front bas,
Respirant le parfum du rameau de bruyère,
Et par deux fois tournant ses beaux yeux en arrière.

Midi de ses rayons perçait l’éther en feu,
La mer étincelait jusqu’à l’horizon bleu ;
Les pins, les aloès, les balsamiques plantes,
Chargeaient de leurs senteurs les brises défaillantes.
D’harmonieuses voix flottaient aux alentours :
Était-ce un de vos chants, muses des anciens jours ?
Est-ce toi, son lointain des flûtes de Sicile,
Dont l’écho m’arrivait sur la vague docile ?…

Joseph Autran

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