Le soir
A Louis Cabat.
C’est un humble fossé perdu sous le feuillage ;
Les aunes du bosquet les couvrent à demi ;
L’insecte, en l’effleurant, trace un léger sillage
Et s’en vient seul rayer le miroir endormi.
Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle,
Transfiguration qui change tout en or ;
Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle ;
Le modeste fossé brille plus qu’un trésor.
Le ciel éblouissant, tamisé par les branches,
A plongé dans l’eau noire un lumineux rayon ;
Tombant de tous côtés, des étincelles blanches
Entourent un foyer d’or pâle en fusion.
Aux bords, tout est mystère et douceur infinie.
On y voit s’assoupir quelques fleurs aux tons froids,
Et les reflets confus de verdure brunie
Et d’arbres violets qui descendent tout droits.
Dans la lumière, au loin, des touffes d’émeraude
Vous laissent deviner la ligne des champs blonds,
Et le ciel enflammé d’une teinte si chaude,
Et le soleil tombé qui tremble dans les joncs.
Et dans mon âme émue, alors, quand je compare
L’humilité du site à sa sublimité,
Un délire sacré de mon esprit s’empare,
Et j’entrevois la main de la divinité.
Ce n’est rien et c’est tout. En créant la nature
Dieu répandit partout la splendeur de l’effet ;
Aux petits des oiseaux s’il donne la pâture,
Il prodigue le beau, ce suprême bienfait.
Ce n’est rien et c’est tout. En te voyant j’oublie,
Pauvre petit fossé qui me troubles si fort,
Mes angoisses de coeur, mes rêves d’Italie,
Et je me sens meilleur, et je bénis le sort.
Courrières, 1867
Jules Breton, Les champs et la mer