Apparition

Jules Supervielle
par Jules Supervielle
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Où sont-ils les points cardinaux,
Le soleil se levant à l’Est,
Mon sang et son itinéraire
Prémédité dans mes artères?
Le voilà qui déborde et creuse,
Grossi de neiges et de cris
Il court dans des régions confuses;
Ma tête qui jusqu’ici

Balançait les pensées comme branches des îles,
Forge des ténèbres crochues.
Ma chaise que happe l’abîme
Est-ce celle du condamné

Qui s’enfonce dans la mort avec toute l’Amérique?

Qui est là?
Quel est cet homme qui s’assied à notre table

Avec cet air de sortir comme un trois-mâts du brouillard,

Ce front qui balance un feu,. ces mains d’écume marine,

Et couverts les vêtements par un morceau de ciel noir?

A sa parole une étoile accroche sa toile araigneuse,

Quand il respire il déforme et forme une nébuleuse.

Il porte, comme la nuit, des lunettes cerclées d’or

Et des lèvres embrasées où s’alarment des abeilles,

Mais ses yeux, sa voix, son cœur sont d’un, enfant à l’aurore.

Quel est cet homme dont l’âme fait des signes solennels?

Voici
Pilar, elle m’apaise, ses yeux -déplacent le mystère.

Elle a toujours derrière elle comme un souvenir de famille

Le soleil de l’Uruguay qui secrètement pour nous brille,

Mes enfants et mes amis, leur tendresse est circulaire

Autour de la table ronde, fière comme l’univers;

Leurs frais sourires s’en vont de bouche en bouche fidèles,

Prisonniers les uns des autres, ce sont couleurs d’arc-en-ciel.

Et comme dans la peinture de
Rousseau le douanier,
Notre tablée monte au ciel voguant dans une nuée.
Nous chuchotons seulement tant on est près des

étoiles,
Sans cartes ni gouvernail, et le ciel pour bastingage.

Comment vinrent jusqu’ici ces goélands par centaines
Quand déjà nous respirons un angélique oxygène,

Nous cueillons et recueillons du céleste romarin,
De la fougère affranchie qui se passe de racines, lit comme il nous est poussé dans l’air pur des ailes

longues
Nous mêlons notre plumage à la courbure des mondes

Jules Supervielle

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