Au feu!
J’enfonce les bras levés vers le centre de la
Terre
Mais je respire, j’ai toujours un sac de ciel sur la
tête
Même au fort des souterrains
Qui ne savent rien du jour.
Je m’écorche à des couches d’ossements
Qui voudraient me tatouer les jambes pour me
reconnaître un jour.
J’insulte un squelette d’iguanodon, en travers de
mon passage,
Mes paroles font grenaille sur la canaille de ses os
Et je cherche à lui tirer ses oreilles introuvables
Pour qu’il ne barre plus la route
Mille siècles après sa mort
Avec le vaisseau de son squelette qui lait nuit de
toutes parts.
Ma colère prend sur moi une avance circulaire,
Elle déblaie le terrain, canonne les profondeurs.
Je hume des formes humaines à de petites distances
Courtes, courtes.
J’y suis.
Il n’y a plus rien ici de grand ni de petit, de liquide
ni de solide,
De corporel ni d’incorporel;
Et l’on jette aussi bien au feu une rivière, où saute
un saumon, et qui traversait l’Amérique,
Qu’un brouillard sur la
Seine que franchissent les
orgues tumultueuses de
Notre-Dame.
Voici les hautes statues de marbre qui lèvent l’index
avant de mourir.
Un grand vent gauche, essoufflé, tourne sans trouver
une issue.
Que fait-il au fond de la
Terre?
Est-ce le vent des
suicidés?
Quel est mon chemin parmi ces milliers de chemins
qui se disputent à mes pieds
Un honneur que je devine?
Peut-on demander sa route à des hommes considérés comme morts
Et parlant avec un accent qui ressemble à celui
du silence.
Centre de la
Terre! je suis un homme vivant.
Ces empereurs, ces rois, ces premiers ministres, entendez-les qui me font leurs offres de service
Parce que je trafique à la surface avec les étoiles et
la lumière du jour.
J’ai le beau rôle avec les morts, les mortes et les
mortillons.
Je leur dis : «
Voyez-moi ce cœur,
Comme il bat dans ma poitrine et m’inonde de
chaleur!
Il me fait un toit de chaume où grésille le soleil.
Approchez-vous pour l’entendre.
Vous en avez eu
un pareil.
N’ayez pas peur.
Nous sommes ici dans l’intimité
infernale ».
Autour de moi, certains se poussent du coude,
Prétendent que j’ai l’éternité devant moi,
Que je puis bien rester une petite minute,
Que je ne serais pas là si je n’étais mort moi-même.
Pour toute réponse je repars
Puisqu’on m’attend toujours merveilleusement à
l’autre bout du monde.
Mon cœur bourdonne, c’est une montre dont les
aiguilles se hâtent comme les électrons
Et seul peut l’arrêter le regard de
Dieu quand il
pénètre dans le mécanisme.
Air pur, air des oiseaux, air bleu de la surface,
Voici
Jésus qui s’avance pour maçonner la voûte
du ciel.
La terre en passant frôle ses pieds avec les forêts les
plus douces.
Depuis deux mille ans il l’a quittée pour visiter
d’autres sphères,
Chaque
Terre s’imagine être son unique maîtresse
Et prépare des guirlandes nuptiales de martyrs.
Jésus réveille en passant des astres morts qu’il secoue,
Comme des soldats profondément endormis,
Et les astres de tourner religieusement dans le ciel
En suppliant le
Christ de tourner avec eux.
Mais lui repart, les pieds nus sur une aérienne
Judée,
Et nombreux restent les astres prosternés
Dans la sidérale poussière.
Jésus, pourquoi te montrer si je ne crois pas encore?
Mon regard serait-il en avance sur mon âme?
Je ne suis pas homme à faire toujours les demandes
et les réponses!
Holà, muchachos!
J’entends crier des vivants dans
des arbres chevelus,
Ces vivants sont mes enfants, échappés radieux de
ma moelle!
Un cheval m’attend attaché à un eucalyptus des
pampas,
Il est temps que je rattrape son hennissement dans
l’air dur,
Dans l’air qui a ses rochers, mais je suis seul à les voir!