Boulevard lannes
Boulevard
Lannes que fais-tu si haut dans l’espace
Et tes tombereaux que tirent des percherons l’un
derrière l’autre,
Les naseaux dans l’éternité
Et la queue balayant l’aurore?
Le charretier suit, le fouet levé,
Une bouteille dans sa poche.
Chaque chose a l’air terrestre et vit dans son naturel.
Boulevard
Lannes que fais-tu au milieu du ciel
Avec tes immeubles de pierre que viennent flairer
les années,
Si à l’écart du soleil de
Paris et de sa lune
Que le réverbère ne sait plus s’il faut qu’il s’éteigne
ou s’allume
Et que la laitière se demande si ce sont bien des
maisons, -.
Avançant de vrais balcons,
Et si tintent à ses doigts des flacons de lait ou des
mondes?
Près du ruisseau un balayeur de feuilles mortes de
platanes
En forme un tas pour la fosse commune de tous les
platanes Échelonnés dans le ciel.
Ses mouvements font un bruit aéré d’immensité
Que l’âme voudrait imiter.
Ce chien qui traverse la chaussée miraculeusement
Est-ce encor un chien respirant?
Son poil sent la foudre et la nue
Mais ses yeux restent ingénus
Dans la dérivante atmosphère
Et je doute si le boulevard
N’est pas plus large que l’espace entre le
Cygne et
Bételgeuse.
Ah ! si je colle l’oreille à l’immobile chaussée
C’est l’horrible galop des mondes, la bataille des
vertiges;
Par la fente des pavés
Je vois que s’accroche une étoile
A sa propre violence
Dans l’air creux insaisissable
Qui s’enfuit de toutes parts.
Caché derrière un peu de nuit comme par une
colonne,
En étouffant ma mémoire qui pourrait faire du
bruit,
Je guette avec mes yeux d’homme
Mes yeux venus jusqu’ici,
Par quel visage travestis?
Autour de moi je vois bien que c’est l’année où nous
sommes
Et cependant on dirait le premier jour du monde
Tant les choses se regardent fixement
Entourées d’un mutisme différent.
Ce pas lourd sur le trottoir
Je le reconnais c’est le mien,
Je l’entends partir au loin, 11 s’est séparé de moi (Ne lui suis-je donc plus rien)
S’en va maintenant tout seul,
Et se perd au fond du
Bois.
Si je crie on n’entend rien
Que la plainte de la
Terre
Palpant vaguement sa sphère
A des millions de lieues,
S’assurant de ses montagnes,
De ses fleuves, ses forêts
Attisant sa flamme obscure
Où se chauffe le futur (Il attend que son tour vienne.)
Je reste seul avec mes os
Dont j’entends les blancheurs confuses :
«
Où va-t-il entre deux ciels, si froissé par ses pensées,
Si loin de la terre ferme
Le voilà qui cherche l’ombre et qui trouve du soleil. »
Puisque je reconnais la face de ma demeure dans
cette altitude
Je vais accrocher les portraits de mon père et de ma
mère
Entre deux étoiles tremblantes,
Je poserai la pendule ancienne du salon
Sur une cheminée taillée dans la nuit dure
Et le savant qui un jour les découvrira dans le ciel
En chuchotera jusqu’à sa mort.
Mais il faudra très longtemps pour que ma main
aille et vienne
Comme si elle manquait d’air, de lumière et d’amis
Dans le ciel endolori
Qui faiblement se plaindra
Sous les angles des objets qui seront montés de la
Terre.