Colons sur le haut-parana
Le navire à deux ponts tremble jusqu’aux agrès, tant il pique sur la rive, son avant dans la boue vive, toute sa force en arrêt.
Mais c’est à terre, c’est à terre qu’il faut regarder.
Parmi le rigide envol des palettes de cactus,
c’est un groupe de colons envahis d’âpres espaces,
surveillés par un exil que ne cache pas la tente,
Un homme est monté sur un cheval long,
tenant un enfant à califourchon,
et nul ne bouge.
Auprès d’eux, robes claires, tombant droites, nul
le vent, robes claires de percale affrontant les éléments dans la forestière étreinte, ce sont femmes près d’un saule, l’une, un oiseau sur l’épaule, un cigare éteint à sa lèvre éteinte.
Les colons nous dévisagent,
tous leurs gestes annulés, leurs attitudes nous rivent,
leur présence veut nous cerner,
ne voulant rien laisser perdre de ces hommes que
nous sommes, qui avons vu le grand port victorieux sur la mer, les mille courants des rues et le fleuve des
Dimanches et le bon fracas des villes comblant l’homme jusqu’au
bord.
La sirène les a tirés de la forêt,
que tourmentent les troncs durs comme minerai,
les colons aux regards traversés de lianes,
la mémoire feuillue et déchirée de ronces
et la brousse jusqu’à l’âme.
Amaigris, épineux sous la chaleur qui lime, taraudés même la nuit de cauchemars de soleil, les bras absents, les jambes creuses, le cœur attaché par une pauvre ficelle, immobiles, les colons, immobiles, au garde-à-vous de la mélancolie.
Sur la rive resserrée que lèchent fleuve et forêt on décharge des colis, caisses et sacs de biscuits, grands rectangles de fer-blanc, une charrette et un banc
Il est même trois balais pour la brousse et la forêt, et un chien qui n’aboie pas.
Il est des accordéons,
une cage à colibris,
et de grands yeux agrandis,
a y a des sacs postaux,
il y a de gros paquets noirs de toile goudronnée qui gardent bien leur secret.
Et le soir vient saisir ces formes espacées qu’il emmêle dans son épaississant filet.
Les bois à contre-jour sont gorgés de nuit chaude,
Tous les oiseaux sont dans la nuit
Que de plumages sans aurore 1
Sur la rive, des visages nus
Et des mains nues et des pied nus
Bourdonnent encore de chimères.
On commence à charger le bois pour la partance.
Des hommes, sous l’œil dur d’un projecteur du bord.
Se passent, l’un à l’autre, ainsi qu’un enfant mort,
Une bûche couchée en son propre silence.