La tablf

Jules Supervielle
par Jules Supervielle
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Des visages familiers
Brillent autour de la lampe du soleil.
Les rayons touchent les fronts
Et parfois changent de front
Oscillant de l’un à l’autre.

Des explosions d’irréel dans une fumée blanchissante

Mais nul bruit pour les oreilles :

Un fracas au fond de l’âme.

Des gestes autour de la table

Prennent le large, gagnent le haut-ciel,

Entre-choquent leurs silences

D’où tombent des flocons d’infini.

Et c’est à peine si l’on pense à la
Terre
Comme à travers le brouillard d’une millénaire tendresse.

L’homme, la femme, les enfants,
A la table aérienne
Appuyée sur un miracle
Qui cherche à se définir.

Il est là une porte toute seule

Sans autre mur que le ciel insaisissable,

Il est là une fenêtre toute seule,

Elle a pour chambranle un souvenir

Et s’entr’ouvre

Pour pousser un léger soupir.

L’homme regarde par ici, malgré l’énorme distance,

Comme si j’étais son miroir,

Pour une confrontation de rides et de gêne.

La chair autour des os, les os autour de la pensée

Et au fond de la pensée une mouche charbonneuse.

Il s’inquiète

Comme un poisson qui saute

A la recherche d’un élément,

Entre la vase, l’eau et le ciel

Le ciel est effrayant de transparence,

Le regard va si loin qu’il ne peut plus vous revenir.

Il faut bien le voir naufrager

Sans pouvoir lui porter secours.

Tout à coup le soleil s’éloigne jusqu’à n’être plus

qu’une étoile perdue
Et cille.

Il fait nuit, je me retrouve sur la
Terre cultivée.
Celle qui donne le maïs et les troupeaux,
Les forêts belles au cœur.

Celle qui ronge nuit et jour nos gouvernails d’élévation.

Je reconnais les visages des miens autour de la lampe
Rassurés comme s’ils avaient Échappé à l’horreur du ciel,

Et le lièvre qui veille en nous se réjouit dans son

gîte;
Il hume son poil doré
Et l’odeur de son odeur, son cœur qui sent le cerfeuil.

Jules Supervielle

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