Le gaucho

Jules Supervielle
par Jules Supervielle
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Les chiens fauves du soleil couchant harcelaient les

[vaches
Innombrables dans la plaine creusée d’âpres

[mouvements,
Mais tous les poils se brouillèrent sous le hâtif

[crépuscule.

Un cavalier occupait la pampa dans son milieu
Comme un morceau d’avenir assiégé de toutes parts.
Ses regards au loin roulaient sur cette plaine de chair
Raboteuse comme après quelque tremblement de

[terre.
Et les vaches ourdissaient un silence violent,
Tapis noir en équilibre sur la pointe de leurs cornes,
Mais tout d’un coup fustigées par une averse d’étoiles
Elles bondissaient fuyant dans un galop de travers,
Leurs cruels yeux de fer rouge incendiant l’herbe

sèche,
Et leurs queues les poursuivant, les mordant comme

[des diables,
Puis s’arrêtaient et tournaient toutes leurs têtes

[horribles

Vers l’homme immobile et droit sur son cheval bien

[forgé.

Parfois un taureau sans bruit se séparait de la masse
Fonçant sur le cavalier du poids de sa tête basse.
Lui, l’arrêtait avec les deux lances de son regard
Faisant tomber le taureau à genoux, puis de côté,
Les yeux crevés, un sang jeune alarmant sa longue bave
Et les cornes inutiles près des courtes pattes mortes.
Cependant mille moutons usés par les clairs de lune
Disparaissaient dans la nuit décocheuse de hiboux.

L’horizon déménageait sa fixité hors d’usage
Que les troupeaux éperdus avaient crevé mille fois.
Précédant d’obscurs chevaux lourds de boue de l’an

[dernier
Des étalons galopaient, les naseaux dans l’inconnu,
Arrachant au sol nocturne de résonnantes splendeurs.
La pampa se descellait, lâchant ses plaines de cuivre,
Ses réserves de désert qui s’entre-choquaient,

[cymbales!
Ses lieues carrées de maïs, brûlant de flammes internes,
Et ses aigles voyageurs qui dévoraient les étoiles,
Ses hauts moulins de métal, aux tournantes

[marguerites,
Ames-fleurs en quarantaine mal délivrées de leurs

[corps
Et luttant pour s’exhaler entre la terre et le ciel.

Sur des landes triturées tout le jour par le soleil
Passaient des cactus crispés dans leur gêne végétale,
Des chardons comme des christs abandonnés aux

[épines,

Et des ronces qui cherchaient d’autres ronces pour

[mourir.

Puis un grêle accordéon de ses longs doigts musicaux
Toucha l’homme et ses ténèbres dans la zone de son

[cœur.
Alors laissant là les vaches, la nuit épaisse de souffles
Qui s’obsrinaient à durcir, l’homme entra dans le

[rancho
Où le foyer consumait de la bouse desséchée.

A ras du sol lentement il allongea son corps maigre
Et son âme par la nuit encore toute empierrée
Auprès de ses compagnons renversés dans un

[sommeil
Où les anges n’entrent pas et qui tenaient bien en

[mains leurs rauques chevaux osseux sur la piste de leurs

[rêves.

Jules Supervielle

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