Le village sur les flots

Jules Supervielle
par Jules Supervielle
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Vagues se dressant pour construire,
Et qui retombent sans pouvoir
Donner forme à leur vieil espoir
Sous l’eau qui d’elles se retire,

Je frôlais un jour un village
Naufragé au fil de vos eaux
Qui venaient humer d’âge en âge
Les maisons de face et de dos,

Village sans rues ni clocher,
Sans drapeau, ni linge à sécher,
Et tout entier si plein de songe
Que l’on eût dit le front d’une ombre.

Des maisons à queue de poisson
Formaient ce village-sirène
Où le lierre et le liseron
S’épuisaient en volutes vaines.

Parfois une étoile inquiète
Violente au grand jour approchait,
Et plus violente s’en allait
Dans sa chevelure défaite.

Un écolier taché d’embruns
Portant sous le bras un cartable
Jetait un regard outrebrun
Sur les hautes vagues de fable,

Un enfant de l’éternité,
Cher aux solitudes célestes
Plein d’écume et de vérité ■Un clair enfant long et modeste,

Dans ce village sans tombeaux,
Sans ramages ni pâturages
Donnant de tous côtés sur l’eau,
Village où l’âme faisait rage,

Et qui, ramassé sur la mer,
Attendait une grande voile
Pour voguer enfin vers la terre
Où fument de calmes villages.

Jules Supervielle

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