Un homme a la mer
Du haut du navire en marche
Je me suis jeté
Et voilà que je me mets à courir autour de lui.
Heureusement nul ne m’a vu :
Chacun craindrait pour sa raison.
Je suis debout sur les flots aussi facilement que la
lumière,
Et songe à l’intervalle miraculeux entre les vagues
et mes semelles.
Je m’allonge sur le dos, moi qui ne sais même pas
nager ni faire la planche
Et ne parviens pas à me mouiller.
Voici des êtres qui viennent à moi
Appuyés sur des béquilles aquatiques et levant les
paumes;
Mais ils meurent crachant l’écume par leur bouche
devenue immense.
Je reste seul et, dans ma joie,
Je m’enfante plusieurs fois de suite solennellement,
Ivre d’avoir goûté autant de fois à la mort
Je vais, je viens, les mains dans mes poches sèches
comme le
Sahara.
Tout ceci est à moi et les domaines qui palpitent
là-dessous.
Oserai-je prendre un peu de cette eau pour voir
comment elle est faite?
Ce sera pour un autre jour.
Contentons-nous de marcher sur la mer comme
autour d’une poésie.
Au fond de ma lorgnette je ne vois plus du bateau
Que mes trente bâtards qui s’agitent à bord singulièrement.
Dans le miroir de ma cabine et en travers
J’ai laissé mon image au milieu de la nuit avant que
je tourne le commutateur.
Elle se réveille en sursaut, brise la glace comme celle
d’un avertisseur d’incendie
Et se met à me chercher.
La poitrine très velue du
Commandant éprouve
qu’il manque quelqu’un
Et la sirène beugle toute seule
Comme une vache qui a faim.
Prenant la mer un peu à l’écart
Je lui fais signe d’entrer ruisselante dans l’entonnoir
de mon esprit : «
Viens, il y a place pour toi,
Viens aujourd’hui il y a de la place.
J’en fais le serment tête nue
Pour que le vent de l’ouest sur mon front reconnaisse
que je dis la vérité ».
Mais la mer proteste de son innocence
Et dit qu’on l’accuse témérairement
Elle ne répond pas à la question.
Et cependant les noyés attendent que leur tour
vienne.
Leur tour de quoi?
Leur tour de n’importe quoi.
Ils attendent sans oser entr’ouvrir leurs paupières
écumeuses
De peur que ce ne soit pas encore le moment,
Et qu’il faille continuer à mourir comme jusqu’à
présent
Cette chose qui les a frôlés, qu’estxe que c’est?
Est-ce une algue marine ou la queue d’un poisson
qui s’égare au fond de lui-même?
C’est bien autre chose.
Il est des anges sous-marin» qui n’ont jamais vu
la face bouleversée de
Dieu.
Es rôdent et sans le savoir
Lancent la foudre divine.
Ce soir assis sur le rebord du crépuscule
Et les pieds balancés au-dessus des vague»,
Je regarderai descendre la nuit : elle se croira toute
seule.
Et mon cœur me dira : fais de moi quelque chose,
Ne suis-je plus ton cœur?