Flots des mers

Léon Dierx
par Léon Dierx
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A Émile Bergerat.

Flots qui portiez la vie au seuil obscur des temps,
Qui la roulez toujours en embryons flottants
Dans le flux et reflux du primitif servage,
Eternels escadrons cabrés sur un rivage
Ou contre un roc, l’écume au poitrail, flots des mers,
Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !
Partout où recouvrant récifs, galets de sables,
Escaladant en vain les bords infranchissables,
Vous brisez votre élan tout aussitôt repris,
Vous aurez subjugué les coeurs et les esprits.
L’ordre immémorial au même assaut vous lance,
Et vous n’aurez connu ni repos ni silence
Sur ce globe où chaque être, après un court effort,
Pour l’oublier se fait immobile et s’endort.
Enfanteurs de la nue éclatante ou qui gronde,
Flots des mers, ennemis de tous les caps du monde,
Vous leur jetez avec vos limons coutumiers
Son rêve et son histoire épars en des fumiers.
Dans vos sillons mouvants submergés par vos cimes
Vous ensevelissez et bercez vos victimes,
Ainsi qu’en le berçant vous poussez devant vous
L’animalcule aveugle éclos dans vos remous.
A tous les sols marins votre appel se répète.
Mais sous l’azur limpide ou pendant la tempête,
Doux murmure expirant sur la grève, ou fureur
Retentissante au fond des vieux gouffres d’horreur,
C’est à jamais un chant de détresse et de plainte.
Perpétuels martyrs refoulés dans l’étreinte,
Armée aux rangs serrés qui monte et qui descend,
Un désir est en vous qui se sait impuissant.
Que la nuit s’épaississe ou bien que le jour croisse,
Vous accourez de loin, vous rapportez l’angoisse,
Aux pieds de vos remparts certains vous revenez,
Et mêlez aux rumeurs des ans disséminés
Les soupirs inconnus, les voix de ceux qu’on pleure.
La vôtre est toujours jeune et seule ici demeure.
Messagers du chaos, damnés de l’action,
Serviteurs du secret de la création,
Votre spectacle auguste et sa vaste harmonie
Emouvront plus que tout la pensée infinie.
Nous n’aurons combattu qu’une heure ; incessamment,
Vous clamez dans l’espace un plus ancien tourment !
Ah ! n’estil pas celui d’une âme emprisonnée
Qui, ne sachant pourquoi ni comment elle est née,
Le demande en battant les murs de l’horizon ?
Flots sacrés ! L’univers est encor la prison !
Nous avons beau fouiller et le ciel et la terre,
Tout n’est que doute, énigme, illusion, mystère.

Les lèvres closes

Léon Dierx

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